sansal 208413 pages blanches terminent ce livre. 13 espaces de désert, de sable, où peut s'écrire le prochain rêve des hommes pour tenter de donner un sens à l'univers. Le désert, s'il est presque stérile en vie, est en revanche riche en "vérités" transcendantes, rapportées par des prophètes à leurs peuples. Vérités qui oublient toutes que l'humain réel n'est pas l'humain désincarné et idéalisé de leurs rêves. Et l'homme, pour donner vie à ces "vérités", crée alors des totalitarismes, religieux ou laïcs, inégalitaires et criminels et dont la fin est toujours une tragédie. Ce récit, qui nous fait vivre un Etat islamique déshumanisé, aurait pu, légèrement modifié, être celui d'autres expériences dont nous avons été témoins...

 

Une atmosphère chimérique

Ce qui m'a d'abord impressionné ici est le climat que le roman installe. Du début à la fin, nous sommes au coeur du minéral, du sable, du soleil. Tout est brouillé par une atmosphère étrange qui laisse pressentir une tempête de sable qui achèvera d'abolir notre perception rationnelle des choses, déjà fort mise à mal. Au coeur de ce lieu irréel, un monde est là, le meilleur des mondes possibles, soumis à La "Vérité" révélée par le prophète Abi. L'irréel est le réel. Le temps n'existe plus. Impressionnante maîtrise d'écrivain.

sansal 2084 2Soumission

Dans ce monde, aucune question ne saurait être pertinente, puisque tout est prévu dans le livre saint, donc aucune n'est tolérée. Un peuple misérable a fait de sa soumission vertu et répète inlassablement le catéchisme de son esclavage. Une nomenklatura se partage pouvoir et privilèges et s'entre-déchire pour les augmenter. Réaliste ? Pas vraiment dans la durée, mais est-ce important ? L'histoire nous apprend que l'homme sacrifie assez volontiers sa liberté pour sa prospérité, mais qu'il a toujours, un jour, exigé des comptes. Castro, Gorbatchev et autres Louis XVI en savent quelque chose, qui n'ont pas su ou pas pu apporter la prospérité à leurs peuples.

La faille

L'intrigue est un fil ténu à travers ce monde oppressant, fil porté par un patient d'un sanatorium improbable. Il y a, sacrilège, mis son temps à profit pour s'inquiéter du bien-fondé des lois de l'"Abistan". Il va s'efforcer d'en savoir plus et va commettre des actes de liberté insensés. Il apprendra beaucoup, trop, peut-être, ranimant en lui à chaque découverte une flamme qui ne s'éteindra pas. Un providentiel appui d'un clan dirigeant en conflit avec d'autres, lui offrira l'opportunité d'aller au bout de sa quête de savoir. Peut-être même, passera-t-il au-delà de la frontière, s'il en existe une, là où d'autres lois seraient possibles ? Ainsi, l'espoir se retourne, car ce n'est plus dans la "vérité", mais dans l'inconnu qu'il réside. Dangereux, non ? Mais l'espoir n'est-il pas toujours dangereux ?

La pensée est-elle plus forte quand elle est unique ?

Un livre terriblement actuel et utile pour nous, qui glissons dans un conformisme mou, bercés de "vérités" démocratiques, écologiques, droitdelhommistes et égalitaristes, esclavage doux de la pensée qui confère une merveilleuse bonne conscience, pleine de repentance, dont l'obésité va bientôt rejoindre celle de nos ventres. N'y aurait-il pas, par exemple, quelque dignité à questionner l'hystérie climatique présente, où la "vérité" révélée de l'origine humaine du réchauffement est tout au plus une crainte, que rien ne prouve sérieusement et au nom de laquelle des dépenses folles sont engagées ? Et qu'il ne fait pas bon pour une carrière de journaliste de débattre... Religion, tu nous tiens, tant que nos estomacs sont pleins... ou très vides.

Peut-être certains souhaiteront-ils lire un livre précédent de l'auteur, Le village de l'Allemand, qui abordait aussi le fanatisme sous un autre angle, mais avec la même inquiétude lourde.

Gallimard (2015) - 274+13 pages