sansal village allemand

 

Ce livre, puissant et sombre, se déroule comme une double tragédie : un passé intolérable pour l'un des frères Schiller et un présent qui ne l'est pas moins pour l'autre. Et, comme pour toutes les tragédies, il n'est de solution que personnelle. Boualem Sansal est algérien, contemporain.

 

Une révelation ... qui fait prendre conscience d'une autre réalité.

L'ainé des frères a surmonté, par sa réussite scolaire, le handicap de sa naissance "algérienne". Mais il découvre que son père, allemand, cache un passé de tortionnaire nazi, qu'il avait fait oublier (surmonté ?) en participant à la guerre de libération de l'Algérie. Cette révélation est, pour ce fils, si lourde à porter, qu'il pensera devoir, par son suicide, expier cette insupportable tache. On a un peu de mal à le suivre.

Le frère cadet, en lisant le journal de son ainé, découvre l'ignoble vérité. Il est en échec scolaire, vit dans une cité de banlieue où, peu à peu s'installe un islamisme fanatique et violent. Il vit ainsi son éveil politique et découvre la valeur de la liberté. Il comprend que la sienne est aussi menacée aujourd'hui par cet islamisme que l'était celle des Allemands, juifs et autres, par l'idéologie nazie. Il comprend aussi que la perception lucide, mais angoissante, de cette menace est si difficile à partager avec ceux qu'il côtoie, qu'un pessimisme l'envahit, dont on peut craindre le pire.

A l'origine des crimes, la foi en des vérités transcendantes.

La force de ce roman n'est pas la nouvelle description, aussi intériorisée soit-elle, des camps de la mort nazis. C'est même peut-être sa faiblesse, car elle est parfois interminable. Il me semble au contraire, que c'est le parallèle qu'il établit entre islamisme et nazisme, qui en fait l'originalité. L'un et l'autre croient détenir des vérités transcendantes, qui le Coran dans une lecture réductrice, qui le don de la race des seigneurs. Dans l'un et l'autre cas, les initiés sont destinés à établir par la contrainte, puis la force, quand la conviction ne suffit pas, le règne de cette vérité. Et, bien entendu, il y a urgence, ce qui autorise tous les moyens. C'est alors le règne des idées simples, de l'intimidation puis de la violence, et enfin de l'exclusion (jusqu'à la mort, en camp ou autrement) de ceux qui refusent cette voie.

Ce qui frappe, c'est que tous ces pourvoyeurs d'inhumanité sont sincères, convaincus, à l'exclusion parfois de certains de leurs leaders. Leur bonne foi n'est pas en cause. Ils sont le bien, le juste. Enfin, ils le croient, comme l'ont cru les communistes qui, soit dit en passant, on fait plus de morts que les nazis. Et comme, si on les laisse faire, feront les fanatiques de l'écologie, qui me parait, de nos jours, une menace plus grave que l'islamisme, car elle pervertit tous nos raisonnements sociaux et économiques au nom d'un bien, d'un juste, dressés en vérités et qui ont préséance sur toute autre considération. Peu importe si ces vérités affirmées, voire imposées (stupides Grenelles !), contiennent ou non la moindre réalité. Ce sont des religions dévoyées, rien de plus ; mais quel danger pour l'intelligence, ce qui n'est pas grave, mais pour nos vies et notre liberté de penser, ce qui l'est plus !

Le roman est également très riche en descriptions précises de la vie des banlieues et de leurs bandes. On saluera au passage la belle figure d'un commissaire de police plein de compassion et finalement utile à travers ses méthodes originales.

Un bon livre en tout cas et courageux.

Gallimard (2008) - 265 pages