orsenna la fontaine 
Notre La Fontaine, que l'école nous a fait découvrir, est celui des "Fables", qui lui confèrent une silhouette imaginaire fort sérieuse et plutôt donneuse de leçons. Que nenni ! L'homme est beaucoup plus divers, plus amoureux de la vie, voire parfois polisson, que ce que nous pourrions inférer de ses "Fables". Cette courte biographie est un régal de légèreté et souvent d'humour qui remet en selle dans nos esprits et nos cœurs un homme réel, bien campé sur ses opinions et sur son devoir vis-à-vis de ses amis, mais en même temps avide de liberté, bon vivant et fervent admirateur des femmes, en particulier celles "gentilles de corsage", comme il les nomme. Une lecture qui rend heureux.
 
La vie de La Fontaine n'a pas été un long fleuve tranquille. A Château-Thierry où il est né et a vécu enfant, sa famille est aisée, c'est à dire possède des terres et des fermes. Presque embarqué sur la voie de la prêtrise, il y réussit assez mal et se dirige bien vite vers des études de droit, à Paris, au Quartier latin où il apprend aussi la vie. A 26 ans sa famille le marie avec une jeune femme de 14 ans, mais bien dotée. Et vogue la galère ! Il prend une charge de "Maître des forêts" dont il présume qu'elle lui laissera le temps d'écrire un peu. Il organise alors sa vie entre sa résidence et Paris auprès de ses compagnons, laissant à son épouse la liberté que lui-même s'autorise à Paris. Et tout roule... pour un temps. Il réussit alors à pénétrer les faveurs du surintendant Fouquet et révèle en le faisant un caractère courtisan qui surprend un peu. Une amitié réelle se développe entre eux, que la disgrâce du surintendant n’entamera pas, mais qui vaut à notre poète qui le défendra, un exil provisoire à Limoges.
 
A 41 ans il publie alors, discrètement, les "Contes" qu'il avait rodé en les lisant à une belle voisine dont l'intérêt vif le rassura sur l'avenir de son œuvre. La légèreté et la coquinerie de ces récits les avaient rendus impropres à la consommation des écoliers. Ils sont ainsi restés jusqu'à nos jours, en dépit de leur qualité, les enfants oubliés de notre auteur. Les extraits donnés dans le livre inciteront certainement ceux qui ne les ont pas lus à réparer d'urgence cette lacune et à ceux qui les ont lus de redécouvrir leur charme.
 
Le succès littéraire viendra vers 47 ans avec les "Fables", adoubées par le roi lui-même. La Fontaine, hélas pas très bon homme d'affaires, se fit rouler par ses éditeurs et ne tira qu'assez peu de bénéfices de ce succès. Notons au passage que les "Fables" connues sont loin de représenter la totalité de sa production qui recèle des trésors cachés, mais accessibles. Deux autres recueils de "Fables" paraîtront pour ses 57 puis 72 ans, qui rencontreront le même succès, mais toujours sans y joindre l'aisance.
 
La Fontaine vers 52 ans, sans logement, sans un sou pour en trouver un, a alors la chance d'être accueilli par une jeune et belle femme noble, Madame de La Sablière, qui l'hébergera jusqu'à ses derniers jours. Que serait-il devenu sans cela ? Sa vie continue et il entre à l'Académie, non sans quelques remous liés à ses œuvres libertines de jeunesse. La fin de sa vie (il va mourir à 74 ans) sera dominée par un virage surprenant. Pris en mains par l'abbé Pouget, La Fontaine fera acte de contrition, presque au-delà de la décence. Il publie ses confessions, écrit des textes bien pensants, se renie donc. Peur de la mort et d'un éventuel billet pour l'enfer ? Ce n'est certes pas cette pirouette qui restera de lui. Son oeuvre est un hymne à l'amour de la vie qu'il a su, avec élégance, nous faire partager. Nous lui en saurons gré longtemps.
 
Il semble bien aussi que quelque lien doit exister entre lui et l'auteur de cette biographie dont la lecture est un grand moment de plaisir qu'on soupçonne avoir aussi été celui de l'écrivain au cours de sa rédaction. Tant mieux pour nous !
 
Le Livre de Poche No 34216 - 184 pages