orsenna ba
Etes-vous un peu poètes, c'est a dire capable d'aller un peu peu plus loin que le plaisir du sens où la musique des mots ? Sans cela, comme moi au début de ce roman, vous passerez souvent à côté de bien des bons moments que réserve ce livre. Mais rassurez-vous. Vous ne pourrez pas échapper à son charme, si l'on peut dire, pédagogique. Madame Bâ, d'ailleurs fait profession d'apprendre. Elle nous apprend ici l'Afrique et, au delà, une part bien oubliée et enfuie de nous mêmes.

Son scribe, un jeune avocat blanc qui prend sous sa dictée sa lettre au Président de notre République pour obtenir un visa de court séjour, nous dit tout : "Je suis un homme économique, madame Bâ, ... morcelé en dossiers et en hobbies, en heures et en minutes ... Je suis un amas de rondelles. Vous me réapprenez l'unité". Madame Bâ est ce que l'Afrique produit encore, des êtres dont le coeur et la tête font toujours bon ménage, enfin dans leur meilleur avatar. Unité aussi de soi et du monde, pour le meilleur et pour le pire. C'est un beau voyage de découverte de l'Afrique et du Mali qui nous est offert là.

Mais c'est aussi un voyage dans l'Afrique qui perd sa boussole, qui a perdu ses lois et sa structure et se demande avec angoisse si elle a les moyens d'en acquérir d'autres. Les modèles qu'elle voit autour d'elle ne sont pas très convaincants. Lisez par exemple l'affaire de l'échangeur, une de ces escroqueries couvertes par l'aide au développement. Ou l'affaire des "ogres".

Bien sûr, ce n'est qu'un roman et un très bon, mais il me laisse partagé. Cette compassion qu'il exprime est certainement la clé de toute tentative de rapprochement, d'aide véritable. Et que l'on balaie au passage dans notre propre cour. Mais il nous livre peu de clés pour ouvrir de nouvelles portes. Car celles dont nous disposons, tant le Mali et l'Afrique que nous même, ont échoué. Alors, s'en remettre au sort ? Ne reste-t-il que l'exil, comme semble le conclure ce livre ?
 
Editions Fayard/Stock (2003)