drillon musique paradis
 
Bien des livres ont été écrits, qui tentent de comprendre le contenu de la musique, mais aussi de lui donner une fonction dans notre vie. Ils parlent parfois des compositeurs, parfois des interprètes, parfois des instruments, parfois aussi de l'écoute, des auditeurs ou des concerts. Ils parlent rarement de l'ensemble de ces paramètres qui ont pourtant de profonds rapports entre eux, paramètres qui doivent rechercher un état optimal d'harmonie pour produire une musique de qualité. C'est cette approche globale que ce très court livre choisit, pour notre plus grand intérêt.
 
L'auteur insiste d'abord sur un aspect souvent négligé dans la réflexion : la musique écoutée est une chose, la musique jouée en est une autre. La musique écoutée, que l'on soit seul ou à plusieurs, est un acte passif. Une porte s'ouvre que nous essayons de traverser. La musique jouée est un acte actif. Nous ouvrons la porte bien ou mal, mais c'est cet acte qui crée en soi l'attente, le plaisir, parfois l'exaltation de celui qui joue. Ceux qui aiment la musique et en jouent comprendront facilement cela. Ce couple, cette dualité, le compositeur et l'interprète, dont dépend la beauté de l'oeuvre est unique dans l'art. On voit mal un acteur de théâtre se réciter à lui-même Le Cid pour son plaisir !
 
Un second thème, essentiel lorsqu'on approche la musique, est de se demander si elle est un langage, porteur de signifiants. L'auteur prend ici une position claire : non, la musique ne signifie rien, elle n'imite rien. Elle n'est pas un langage, elle ne parle pas qu'à l'entendement. Elle atteint notre esprit et notre cœur autrement. Le livre fournit des exemples où tout et n'importe quoi peuvent être attribués à une musique écrite en matière de signification. Si la révolte et l'angoisse dont Chostakovitch chargeait sa musique avaient été des messages signifiants, il aurait été broyé par l'appareil d'état. Une atmosphère était là, certes, mais ni un signe signifiant ni un message qui n'exprime autre chose que la musique elle-même. Quant à la façon de J. S. Bach ou de Schütz de mettre en musique la mort du Christ, rien n'est plus dissemblable !
 
De cette constatation l'auteur tire la conséquence qu'à l'opéra, la musique ne peut jamais "représenter" le texte. Elle l'habille, le pare, mais elle conserve sa personnalité au point qu'elle peut éventuellement mener une vie indépendante du livret pour lequel elle a été conçue. Et la beauté d'un opéra procède de la qualité du rapport qui s'établit entre eux. Dualité, encore.
 
Alors demande l'auteur, qu'est ce qu'est cette "musique", qu'il faut ainsi mettre à une place qui soit distincte dans les activités humaines ? Il propose de la concevoir comme une structure particulière de l'esprit humain, précédant le langage, sans le handicap des dualités des affaires du monde, capable d'une unité qui évoque celle du paradis. Peut-être les neurobiologistes confirmeront-ils un jour cette vision cérébrale structurale de la musique ?
 
Revenons sur terre et déplorons avec l'auteur que la musique, ainsi conçue comme activité unitaire, disparaisse au profit de la marchandise. Déplorons en même temps le recul de l'éducation musicale (école, famille, église) et l'appauvrissement éducatif qui en résulte.
 
Un livre intéressant, qui donne matière à réflexion, même si, bien entendu, il laisse encore la question de la nature de la musique à notre méditation.
 
Buchet-Chastel (2018), 73 pages