grannec simples
 
Avez-vous un jour rêvé de passer un moment au cœur d'un couvent de femmes, en toute discrétion ? Non ? Vous avez raison. Ce roman vous convaincra de n'en rien faire, si vous aviez le moindre doute. Dressées à l'obéissance à des règles conçues pour un monde irréel, les pauvres femmes ont perdu l'usage de la raison. Frottées à un événement lui, bien réel et qui vient perturber leur béatitude, le règne de la déraison succède vite à celui de Dieu. Quand s'y ajoutent les conflits de pouvoir de ceux qui en rêvent et exploitent cette faiblesse, cela donne un excellent roman dont on sort heureux d'avoir gardé une part de notre liberté pour guider notre vie.
 
Ah, un détail. Nous sommes en 1584. On ne plaisante pas avec la vraie foi. Le Malin nous guette. Rome est contestée par Wittenberg. La Renaissance a permis de penser à un autre monde que celui exploité par Dieu... enfin par les hommes qui s'en disent les représentants sur terre. Le savoir est un ver qui ronge toutes les vérités d'autorité. Dans notre couvent, qui exploite un hospice, certaines nones cultivent ce savoir sous une forme d'herboristerie médicale. Parfait, mais ne pensez-vous pas qu'il pourrait y avoir là une faille permettant au Malin de leur tenir la main ? Certains le penseront, quand cela les arrange et le bon peuple surenchérira. Et la vie suivra son cours, guidée par les conflits de pouvoir et d'autorité des hommes, ce qui ne caractérise pas le 16e siècle !
 
Un autre aspect intéressant de ce roman est la part donnée aux soins par les plantes, qui traduit au fond une forme de rébellion aux vérités révélées pour y opposer celles qui se dévoilent aux hommes par leur travail. C'est toute la vision humaniste de la Renaissance qui s'exprime là. On ne devient pas un herboriste efficace en priant. Cette remise entre mains de l'homme d'une part de son destin entre en conflit avec l'ancienne vision où tout est et doit être entre les mains de Dieu. Nous n'avons toujours pas quitté ce conflit structurant, même si les avatars de Dieu ont pris d'autres formes. Le besoin et la nécessité d'affirmer et de défendre la liberté est de tous les temps.
 
J'ai aimé ce roman à l'intrigue solide, au style agréable et qui se construit sur un problème éternel, celui de la place de la liberté.
 
 Anne Carrière(2019), 446 pages