kapuscinski shah

 

On parle moins de ce tyran que d'autres. Il a pourtant bien mérité qu'un exceptionnel journaliste polonais en dresse le portrait, couleur rouge sang. Ce récit est une vraie porte sur l'Iran actuel pour nous qui en sommes si loin et si rapides à juger... et qui avons une belle responsabilité dans les drames vécus par ce peuple que l'histoire récente n'a pas gâté.

Par photographies successives, retrouvées on ne sait où, RK commente ce qu'il voit. Il séjourne à Téhéran en 1979 pour couvrir le retour de Khomeini. Ses commentaires seront publiés entre 1979 et 1982. Ils sont essentiels pour se faire une représentation de ce qui a conduit là.

Tout tourne autour de 4 acteurs clés. Un peuple digne et ambitieux au passé éblouissant, mais vivant misérablement sur une terre difficile, le pétrole, richesse qui brûle les mains, un Occident prédateur, avide, sans autre principe que son intérêt et une armée, seule institution ayant résisté à la tourmente dans le maelström du siècle passé.

L'histoire est facile à suivre. Prenons-la en marche, quand l'appât du pétrole et les nécessités de la guerre de 1940 conduisent l'Occident à écarter (droit d'ingérence, comme disait un drôle !) le Shah Reza Khan, pour y substituer son fils Mohammad Reza Pahlavi (MRP), grand Général d'opérette, le golem américain qui allait vouloir mener une vie autonome de tyran patenté. Il y perdra son trône, mais ni sa vie ni son train.

Il avait pourtant de grandes ambitions ce MRP ! Des visions grandioses, sans doute nées d'une overdose de brut ( la fortune sans travailler !). La CIA, ne voulant que son bien, le privera de la nationalisation de sa drogue et surtout du seul homme (Mossadegh, premier ministre) qui semblait conserver un peu de réalisme au service de son peuple. Heureusement, MRP disposait de bonnes fées autour de sa couche : CIA bienveillante, armée achetée, dollars ad libitum. Le peuple ? Exact, ça peut créer des troubles. Alors, à l'image de toutes les tyrannies (au fait, avez-vous visité le centre de la Stasi à Leipzig ?), MRP se tricote une police politique violente, cruelle, sans contrôle, enfin, parfaite, la SAVAK.

Et pourtant le peuple continue d'exister et trouve dans son clergé chiite un peu de protection devant le délire meurtrier de ses dirigeants et de sa nomenklatura. Car le délire s'installe : "Nous serons dans 10 ans au niveau des Européens" clame MRP. Courbez la tête et remerciez si vous ne voulez pas qu'elle tombe. MRP était devenu obsédé d'une modernité fantasmée dans sa tour d'ivoire, achetant armes, usines et autres produits occidentaux sans que la greffe ait la moindre chance de prendre : éducation, infrastructures, institutions, liberté, etc., rien de ce qui fait une nation développée n'est là. Le peuple, misérable, voit le crime, le gaspillage, mais la SAVAK aux mains rouges le contraint au silence dans des conditions horribles. Et pourtant, après beaucoup de sang versé, le peuple chasse son Shah haï, faible grenouille incompétente qui se voulait aussi grosse qu'un boeuf.

En 1982 l'espoir était vibrant. Il restera un jour, à écrire la suite, avec autant de talent.

 

Champs Histoire (1982) - 243 pages