harper empire romain
"Le climat, les maladies et la chute de Rome"
 
Le sujet peut sembler lointain. L'actuelle crise du Covid aux conséquences économiques considérables nous en rapproche pourtant. L'affaiblissement de Rome par les épidémies dans sa guerre par les armes est frère de celui subi par l'Europe et particulièrement la France dans la guerre économique actuelle, qui a complété celle des armes. Ce livre historique très documenté sur les événements naturels (climat, volcanisme, variole, peste, insalubrité, etc.) subis par l'Empire romain sur sa fin est passionnant et nous semble infiniment proche de ce que nous éprouvons en 2020. Nous nous posons, en fait, les mêmes questions que nos ancêtres, mais hélas avec une telle arrogance pseudo-scientifique pour le climat et la médecine, que l’État, comme l'Empire autrefois, y perd, encore et toujours, ses repères. 
 
L'homme n'a pas tous les pouvoirs
 
Ce qui m'a surtout frappé dans ce livre est la volonté de l'auteur de donner tout leur poids historique aux événements qui ne dépendent pas ou partiellement des actions humaines comme les changements de climat le volcanisme et les épidémies, mais dont l'impact humain et économique est considérable. La tradition veut plutôt, en effet, que l'on s'attache à rechercher dans les actes des hommes les causes de leur destin. Cela fait sens, mais ne suffit pas. Les cathédrales n'auraient pas été financées si le petit réchauffement climatique du moyen-âge n'avait pas eu lieu, par exemple. La thèse défendue ici et appuyée sur des faits et des citations de textes anciens est qu'une évolution climatique favorable a grandement épaulé l'Empire dans sa jeunesse et qu'en revanche, un refroidissement associé à la variole, puis la peste ont affaibli mortellement les derniers siècles de Rome. Le récit est convaincant. Dans le même esprit, on sait aussi, sans toujours bien en mesurer le poids et en l'oubliant parfois dans les analyses, l'influence que la géographie a sur l'histoire ! Non, l'homme n'a pas tous les pouvoirs.
 
La Nature exerce toujours ses droits
 
La thèse proposée est soigneusement étayée sur des faits, des textes et des observations qui la rendent incontournable. Il serait difficile de ne pas prendre en compte des épidémies qui ont un taux de mortalité de plus de 50 % et qui, avec des hauts et des bas on duré parfois plusieurs dizaines d'années ! L'impact sur la démographie a été dramatique, quand la culture et la défense du sol ont tant besoin de bras. Le refroidissement défavorable aux récoltes, source première des richesses à cette époque, associé aux ravages des épidémies a affaibli Rome. Cela affectait nécessairement les armées postées aux confins de l'Empire, alors même que la pression des peuples dits barbares se faisait de plus en plus lourde. Dès 165, sous Marc-Aurèle, la peste Antonine (en fait la variole) avait éprouvé l'Empire, qui saura cependant rebondir, bien que marqué.
Les dérèglements climatiques, joints à de nouvelles épidémies vont au 3e, mais surtout au 4e siècle faire évoluer la structure gouvernementale de l'Empire, jusqu'ici dominée par le Sénat et la classe aristocratique pour y substituer un pouvoir essentiellement militaire. Est-ce le sentiment d'une défiance vis-à-vis de l’État ancien face aux calamités subies qui en aura été la cause, entrainant dans sa disparition la vieille religion romaine, remplacée peu à peu par la religion moyen-orientale du dieu unique, dont la vision apocalyptique correspondait à la situation de l'époque ? Quoi qu'il en soit le remède centralisateur et autoritaire n'évitera pas la décadence physique du pouvoir et de l'armée qui ne sauront pas prévenir le drame du sac de Rome en 410. La suite, largement documentée dans le livre est encore pire, elle aussi fortement affectée par les épidémies (peste bubonique de Justinien, refroidissement confirmé, volcanisme) qui avaient créé une dépopulation estimée à 50 % et un climat d'attente de la fin du monde. La victoire des nomades musulmans viendra en partie du fait que leur mode de vie les protégeait largement de la peste bubonique dont la propagation est explosive en milieu urbain, caractéristique du monde romain.
 
L'homme aide parfois la Nature dans ses mauvais coups
 
J'aimerais ici exprimer une légère réserve en face de cette thèse, bien que je l'approuve tout à fait quand elle rappelle que l'homme reste produit par son environnement et en dépend. Il en a toujours été ainsi et rien ne permet de penser que cela va changer. Pour autant, il serait à mon sens faux de pousser cette thèse jusqu'à en faire un destin incontournable, une fatalité. L'environnement, certes, est un facteur, mais il n'est pas seul. Je me souviens d'une thèse également convaincante de la "sur-extension des Empires" de Paul Kennedy dans "Naissance et déclin des grandes puissances", ou celle de Jared Diamond, dans son livre "Effondrement" qui, l'une comme l'autre montrent que les actions des hommes, des choix malheureux, des idéologies invasives peuvent contribuer au désastre. Après tout, l'Empire soviétique a disparu par ce qu'il n'était plus capable de défendre son peuple ni de le nourrir... On peut de la même manière convenir que la vie urbaine des Romains, leurs échanges intenses à travers les terres qu'ils dominaient ou leur hygiène insuffisante n'ont pas peu contribué aux épidémies qui les ont tant affaiblis.
 
Un livre d'une grande richesse
 
Même si ce livre peut paraître parfois un peu répétitif, il accomplit néanmoins un travail essentiel pour remettre l'histoire dans son cadre environnemental, sans négliger les interactions de l'homme sur l'environnement et les décisions parfois néfastes qui peuvent être prises. Je crains par exemple pour ma part que, face au réchauffement actuel se consacrer comme nous le faisons à décarboner l'énergie à coup d'investissements considérables soit le type même de la mauvaise décision qui ne nous prépare pas à faire face à la réalité et aux conséquences de ce réchauffement. De plus, le livre fournit tout au long de ses pages des éclairages inattendus sur des points divers, comme l'enrichissement considérable de l'église chrétienne au Ve siècle (p. 283), ou la chute des Omeyyades due à la peste (p.341), ou même sur l'étiologie des épidémies, par exemple. Un livre à lire pour de nombreuses raisons, donc !
 
La découverte (2019), 544 pages