diamond bouleversement"Les nations face aux crises et au changement"
 
Qu'elles soient personnelles ou nationales, toutes les crises ont une issue, heureuse ou dévastatrice. En historien, l'auteur cherche à mettre en évidence les facteurs ayant influé fortement sur les solutions historiques, dans le cas de sept pays qu'il connaît bien, la Finlande, le Japon, le Chili, l'Indonésie, l'Allemagne, l'Australie et les États-Unis. Il en tire une liste de 12 facteurs clés qui lui semblent dominer les autres, sans pour autant prétendre à l'exhaustivité. D'ailleurs, il se garde de proposer ici une théorie des crises, qui l'aurait contraint à mettre ses prévisions à l'épreuve de l'expérience, ce qu'il ne propose pas. On reste incontestablement un peu frustré, mais peut-il en être autrement ? Cela n'empêche pas que la réflexion faite ici soit de très haute qualité et enrichissante. Un livre intelligent et de lecture plutôt facile.
 
Un détail m'a amusé. Les auteurs américains ont l'habitude d'accumuler les "évidences" avant d'amener leur conclusion qui, dans un monde idéal, doit s'imposer d'elle-même. Ici, c'est l'inverse. Il donne dans son premier chapitre les 12 facteurs clé et, crise après crise, confirme leur pertinence par l'analyse historique. Cette approche est plutôt celle que nous pratiquons en Europe : voici ce que je veux montrer et j'y procède, pas à pas, et l'illustre par des cas. C'est aussi assez proche de la démarche de la preuve mathématique où l'intuition est d'abord exprimée, puis démontrée. J'ai plutôt une préférence pour cette façon de procéder qui oblige à exprimer avec clarté et précision dès le début ce que l'on va tenter de montrer.
 
Le livre, par ailleurs, fait preuve d'un travail historique considérable. Même si l'auteur connaît les pays concernés et les situations historiques en débat, il aura fallu pour en parler avec pertinence qu'il ait accumulé un sérieux bagage documentaire. C'est bien le cas ici et cela se ressent dans la précision des faits historiques rapportés. Sa lecture est donc d'abord un rafraîchissement considérable de notre connaissance de faits historiques assez récents qui ont eu une influence majeure sur l'évolution du monde. Pensons par exemple à l'époque meiji qui a fait entrer le Japon dans la modernité, ou à la réunification allemande après la crise de la division du pays, suite à la défaite !
 
Je pense cependant que, quels que soient la pertinence et le bien fondé des propositions de l'auteur sur ses 12 paramètres, ils n'épuisent pas la complexité du monde. Qui pourrait d'ailleurs le prétendre ? L'auteur met en évidence des points essentiels, comme un consensus de la communauté sur l'existence d'une crise et sur sa nature. C'est évident, mais pas facile à atteindre !
Parfois pourtant, certains paramètres peuvent être favorables, mais devenir hostiles en d'autres circonstances. Un exemple est le sentiment national, qui peut certes favoriser la cohésion d'un peuple face à des choix difficiles, mais qui peut aussi conduire à une folie toxique. Cela signifie qu'il y a entre certains paramètres (et peut-être d'autres !) des liens d'influence réciproque et que leur manipulation doit sans doute être "matricielle", c'est-à-dire en intégrant ces influences réciproques.
De même, une catégorisation des crises et une pondération des 12 critères par catégorie seront sans doute utiles. Comme le propose d'ailleurs l'auteur, un gros travail d'approfondissement est souhaitable.
 
Quoi qu'il en soit, ce livre est impressionnant et constitue une belle contribution à une réflexion critique et intelligente, à une époque où la bouillie Facebook, Twitter et consort, cette espèce de pornographie de l'expression, pourrait faire désespérer de notre espèce. Il est non seulement une analyse historique pertinente, mais aussi une indication de direction pour des travaux à venir. Voilà une lecture particulièrement enrichissante et recommandable.
 
Gallimard (2020), 448 pages