beguin ellora
 
Certains ont visité les caves rupestres d'Ellora, en Inde du Sud, près de Mumbai, utilisées à partir du 6e siècle comme  monastère pour les trois religions principales de l'Inde, bouddhisme, hindouisme et jaïnisme. C'est une visite qu'on n'oublie pas, en dépit de la frustration créée par le fait que ces caves sont fort sombres et qu'il faut parfois imaginer pour partie ce qu'on voit. Le présent livre lève une part de cette frustration en offrant une couverture photographique de grande qualité de ces décors sculptés du 6e au 9e siècle et que, malgré le temps et l'islam, nous pouvons encore admirer.
 
Une précision d'abord. Ce livre a été voulu par le fondateur d'une galerie spécialiste de cet art  (Galerie Hioco) et est commenté Gilles Béguin, conservateur des musées Guimet puis Cernuschi et dont l'érudition sur l'art asiatique est sans pareille. Pour autant, ses présentations des œuvres et son exposé historique n'ont rien de doctoral. Ils apportent à la fois le contexte nécessaire pour replacer les œuvres dans leur temps et les commentaires descriptifs propres à chacune, pour les comprendre et ne pas laisser passer certains détails qui risquent de rester inaperçus s'ils ne sont pas signalés. Il convient d'admirer au passage le travail photographique inconfortable de Iago Corazza dans cet environnement bien particulier.
 
Comme Einstein faisait des "expériences de pensée" pour traduire dans la vie réelle et tenter de représenter ainsi ses concepts mathématiques, il me semble utile, à la lecture de ce livre de faire de la même manière des expériences d'immersion imaginaire dans ce monde enfui, même si notre reconstitution est historiquement bancale. Il faut donner vie à ces lieux, à ces croyances, à ces œuvres. Les statues ne sont pas des blocs de pierre inanimés, mais Avalokitésvara compatissant, qui nous entoure de sa protection et qui nous rappelle qu'Amitabha saura, un jour sans fin, nous accueillir. Au cœur presque obscur d'une cella, Durga nous offre sa beauté et sa violente cruauté, excitant désir et terreur. Et nous devons ressentir tout cela au milieu d'une atmosphère confinée, à la lumière incertaine et vacillante de lampes peu généreuses, entourés d'un murmure grave, là où notre sort se joue, comme celui de ceux qui nous entourent. Et tant pis si tout cela n'est qu'imagination irrespectueuse, mais nous pouvons nous dire alors que nous y étions. Nous sommes allés à Ellora.
 
Merci, Christophe Hioco, merci, Luca Poggi, merci, Gilles Béguin, merci, Iago Corazza. Quel beau voyage nous avons fait !
 
5 Continents (2020), 284 pages