veyne palmyre
 
"L'irremplaçable trésor"
 
Les hommes aiment construire, mais ils aiment aussi détruire. Il y a quelque temps, ce fut Dresde, une merveille saxonne, aujourd'hui Palmyre. On reconstruira à l'identique, comme on l'a fait pour Dresde et comme on va le faire pour Notre-Dame à Paris. Le monde immobile n'est-il pas l'idéologie dominante, celle de l'écologisme punitif ?
Quoi qu'il en soit, ce court livre est un voyage enrichissant dans cette ville antique et si originale de Palmyre. Elle fut grecque, romaine, orientale. Elle fut multiethnique par son mélange de populations, de langues parlées, de religions, de mœurs. Cité-État, riche de son commerce entre l'Orient et l'Occident, elle ne ressemble à personne, même si elle porte un petit cousinage avec l'esprit commerçant de Venise. Elle avait été préservée par l'indifférence et l'oubli. Certains qui se réclament de l'Islam l'ont détruite, comme d'autres qui se réclament d'une autre vérité ont détruit Dresde. Détruisons les vérités ?
 
J'ai eu le bonheur de passer deux jours à Palmyre il y a 10 ans et c'est un moment que l'on n'oublie pas. Il fallait un effort d'imagination important pour se représenter cette cité, car Palmyre était déjà fort ruinée. On pouvait néanmoins imaginer une ville marchande, riche, ouverte, fascinée par Rome et son ordre social, mais aussi par l'architecture grecque et les mythes orientaux. Paul Veyne dans ce livre nourrit cette reconstruction imaginaire d'un monde disparu. Qui rencontrait-on, où et comment vivait-on, quels dieux méritaient les offrandes, quel équilibre économique était recherché et surtout, quel rapport entretenait-on avec Rome ?
 
C'est en effet, pour moi, la réflexion qui m'a paru essentielle dans ce livre, au-delà de son apport documentaire. Car Palmyre, sous autorité romaine, n'était au fond pas vraiment romaine. On y parlait le grec ou l'araméen, ses habitants étaient aussi orientaux qu'occidentaux et l'empereur était loin. Mais Rome était pour le monde d'alors un modèle fascinant, la preuve que sous sa domination, son "Tianxia" oserais-je dire, une vie pacifique permettant les échanges était possible. Zénobie, qui en avait rêvé, y laissera sa peau. La richesse de Palmyre dont témoignaient ses restes architecturaux, son urbanisme, ses villas, ses temples était fabuleuse. Sa diversité ethnique, religieuse était la règle et des mœurs multiples se côtoyaient durablement sans conflits majeurs. Modèle intéressant, encore aujourd'hui, où ce chatoiement social a été écrasé par nos identités en érection douteuse qui sont le squelette de nos nations et de leurs croyances !
 
Ce court livre, sans doute incomplet, est néanmoins un superbe voyage pour l'esprit. Le monde n'a pas commencé avec les prophètes, quoi qu'en pensent leurs zélateurs contemporains. Il n'a jamais commencé. Il a évolué, peu à peu, en bien ou en mal sans qu'aucune croyance ne puisse fixer ni dans le temps ni dans l'espace ce qui est bien ou ce qui est mal. Chaque civilisation a laissé ses traces. Palmyre a été un des avatars de ces civilisations et sa destruction, aujourd'hui, est une autre trace de notre propre civilisation. Y passer quelques instants par la pensée est un merveilleux cadeau que nous offre ce livre. Merci à Paul Veyne.
 
Points Histoire (2016), 146 pages