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Il faut aimer J S Bach pour lire ce livre et il faut lire ce livre pour l'aimer un peu plus ! J S Bach a séjourné dans une région d'Allemagne qu'il est facile de parcourir de nos jours, pour visiter les lieux où il a vécu et où son œuvre a été conçue. Si vous faites ce voyage, permettez-moi un conseil : soyez accompagnés par l'auteur, un merveilleux conteur, qui de plus sait tout ce qui se peut savoir sur le musicien ! Ce livre apporte des réponses aux questions qui ne manquent pas de se poser au cours d'un tel périple, lorsqu'on approche par les sens la réalité de l'homme et de son œuvre. Qui était-il dans sa vie de famille, sociale, professionnelle ? Quelles étaient ses ambitions ? Qu'est-ce qui caractérisait sa foi religieuse ? Comment composait-il ? Pourquoi n'a-t-il pas fait éditer son œuvre de son vivant ou n'a-t-il pas composé d'opéra ? Quel est son héritage musical, sa trace ? Ce qu'on raconte de lui et de son œuvre est-il vrai ou faux ? Et, après cela, il nous restera à aller boire un verre au Café Zimmermann. On y va ?
 
cantagrel 1L'auteur s'attache particulièrement à établir (rétablir ?) la vérité sur un certain nombre de points controversés et véhiculés sans vérification par la rumeur. Un exemple est la "fake new", largement répétée, que J S Bach a été oublié après sa disparition. Faux. Il a toujours été, au cours de son existence, comme après sa mort, un maître révéré par tous les professionnels qui l'on joué et qui ont pratiqué l'enseignement musical en l'utilisant comme guide. En revanche, il est vrai qu'il n'a jamais eu jusqu'au milieu du 19e siècle de grande notoriété publique, comme celle de Haendel, par exemple. Le livre explique très bien les fondements de cette situation. Mendelssohn n'a pas "redécouvert" Bach, il a contribué à le faire mieux connaître, auprès d'un public large, ce qui est déjà beaucoup ! Le livre apporte donc sur tous ces points d'histoire une mise au point fort appréciable.
 
Mais ce qui me semble constituer la richesse majeure de ce livre est l'occasion que nous donne l'auteur d'entrer en contact avec le musicien, comme s'il était un proche, un ami, au sujet duquel nous échangeons sur les joies, les espoirs, les colères, les croyances, les ambitions. Grâce à l'éblouissante érudition de GC et à son talent de conteur, J S Bach nous est familier, sans que l'auteur ait eu besoin du subterfuge du roman historique pour cela. Les multiples éclairages offerts ici sur ce qu'était la vie du Cantor suffisent à nous le rendre proche, ou au moins à nous en faire une représentation qui y conduit.
 
Le livre ne cherche pas non plus à établir une analyse musicale systématique des œuvres mentionnées. Mais, ce qui est moins fréquent, il détaille leur lien avec la vie privée, publique ou professionnelle de J S Bach. Il montre aussi combien le musicien chargeait son art d'une mission que l'auteur nomme "pédagogie et prédication". Les titres des pièces musicales le traduisent souvent, comme "art de la fugue" ou "Clavier Ubung", en matière de pédagogie. Quant à l'aspect "prédication", il exprime l'adhésion profonde du musicien aux thèses de Luther qui disait de la musique qu'elle est une "forme naturelle de l'évangile". Ceci aide sans doute à mieux comprendre pourquoi J S Bach n'a pas voulu (il aurait pu !) faire de son art une marchandise qui l'aurait certes rendu célèbre, mais aurait été une forme de trahison.
 
Quand tant a été écrit sur ce musicien exceptionnel, c'est une merveilleuse découverte, due au talent de l'auteur, que de constater qu'on peut encore dire sur lui des choses utiles, passionnantes et profondes. Ceux qui, comme moi, pensent qu'un sommet de la musique et du génie européen (nul dans le monde  n'a pratiqué la polyphonie comme l'Europe) a été atteint par Bach, qu'ils se précipitent sur ce livre remarquable ! Ils trouveront un immense plaisir à le lire.
 
Buchet.Chastel (2021), 496 pages
 
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