encausse romanov

Un livre exceptionnel et agréable à lire, qui nous aide à percevoir les forces à l'oeuvre dans les comportements de la Russie, pays si proche et si différent de nous. Saurons-nous mieux pour autant où il va après cette lecture ? Sans doute non, mais, peut-être serons-nous moins ignorants de ce qu'il est. Car cette culture russe profonde est toujours là, comme Poutine nous le rappelle, culture déchirée entre des pulsions contradictoires qui vont alterner au cours des 300 ans de règne des Romanov et qui alternent encore.

Avant de lire cette fiche, je suggère de lire celle faite par Le Cercle de livres et lectures, qui fournit un excellent panorama du contenu du livre et de sa richesse historique. La présente fiche doit donc être comprise comme un complément personnel et, de façon plus nette que pour les autres fiches, comme une série de réactions et de questions inspirées par la lecture du livre sur ce qu'est la Russie.

La première est l'usage de la violence, du crime, pour affirmer son droit dynastique et le mettre à l'abri de revendications éventuelles. Il en était ainsi avant les Romanov, il en a été de même pendant. Le soviétisme a, lui aussi, été baptisé dans le sang, mais dans un esprit plus politique que purement dynastique. La période actuelle semble moins y recourir, faute sans doute de dynasties. A suivre...

La seconde me paraît être à la fois une force et une faille de cette civilisation, l'identité russe, si originale. Force, car elle donne un modèle à un ensemble de peuples de langues, de religions, de moeurs profondément diverses, revers de l'immensité du territoire. Il me semble que le soviétisme russe a été un âge d'or de cette transcendance politique. C'est bien là que s'ouvre une faille : la vision "fondamentaliste" de cette identité russe ( paysans, orthodoxie toute puissante, autocratie, etc.) qui revient comme une balançoire actuellement est un communautarisme qui divise plus qu'il n'aide la Russie à faire face à sa diversité. Autre faille à mes yeux : ces périodes d'exaltation de l'identité russe ont toujours été des périodes de stagnation, voire de régression politique, économique et sociale. Elles ont heureusement alterné avec des phases incarnées par les 3 grands Romanov où la Russie a su prendre sa part de la modernité.

Une autre est la géographie et ses conséquences. Une terre immense, souvent hostile, un pied en occident l'autre en Chine. Comment défendre ce mastodonte si peu peuplé, menacé d'éclatement, convoité pour son sous-sol riche et ses terres disponibles ? La crainte est là, matérialisée par la recherche permanente de terres "tampon" autour du coeur du pays et d'accès à la mer. Perdre l'Ukraine, c'est ouvrir la porte aux brigands, c'est restreindre l'accès à la Mer Noire, c'est se fragiliser. Et la Russie sait bien que sa taille est aussi une faiblesse, car elle la rend vulnérable. L'Europe, si elle existe, devrait le savoir et en tenir compte dans les solutions qu'elle négocie avec elle. Les comparaisons faites parfois entre Hitler et Poutine sont stupides : Le premier voulait envahir pour trouver son "espace vital" quand le second redoute, lui, d'être envahi, ce que l'Europe est en train de faire sur sa zone tampon et d'influence traditionnelle, alors que des "garanties" du contraire semblent avoir été données lors de l'éclatement de l'Empire Soviétique. A-t-on les divisions blindées qui nous permettraient de ne pas tenir notre parole ?

Il reste un point permanent de l'histoire russe, lorsqu'elle prend conscience du besoin qu'elle a de progresser. Vers qui se tourner pour trouver un partenaire, un "coach" ? La France, oui quand elle semblait apporter au monde des modèles universels que proposaient ses intellectuels appuyés sur la première armée du monde. L'Allemagne aussi quand elle était forte et créative. On comprend aujourd'hui le désarroi de Poutine face à ses vieux modèles englués dans le consumérisme et les "droits de l'homme". Est-ce une raison pour choisir le modèle saoudien d'une autocratie pétrolière ? La chute sera terrible. Et le cycle reprendra... peut-être.

Un mot encore. Cette permanence cyclique du monde russe est fascinante, tout à l'opposé de notre vision linéaire de progrès. La Russie sait bien que ses attentes, ses désirs, sont contradictoires et que seule leur alternance leur donne un bref espace de vie. Dangereux, non ? Et pourtant, elle tourne...

fayard (2013) - 442 pages