vann sukkwan

 

Il y a des escaliers dont on rate une marche. Il y en a moins dont on les rate toutes. C'est pourtant à cet escalier là que ressemble le destin de nos "Robinsons", destin que par leurs illusions et leurs décisions folles ils ont allègrement construit.

 

Allègrement n'est sans doute pas le bon mot. Il n'y a rien d'allègre dans cette aventure, une fuite sur une île, dans les forêts, devant une vie ratée, déjà recommencée et ratée à nouveau. Tout y est pesant, menaçant, éprouvant, car la nature sauvage manque d'aménités. Quand s'ajoute à cela la stupidité bornée d'un père, ignorant du b a ba des règles de survie dans cet environnement hostile et tellement obsédé par ses émotions à court terme qu'il ne lui reste plus de place pour la réflexion, on serait presque incité à se réjouir de son sort lamentable.

Hélas, il a un fils de 13 ans et a réussi à le convaincre de l'accompagner sur son île. Ce dernier ne perçoit pas la nullité crasse de son paternel et le danger qu'elle présente. "Je ne sais pas" dit son père, lorsqu'il dit quelque chose. Au moins, il est honnête. Non seulement il ne sait rien, mais il s'offre des crises. Et casse son matériel, pour le plaisir... cela lui coûtera cher dans leur situation isolée, où sans radio un petit ennui peut grossir démesurément.

Sa relation avec son fils est pour le moins post-moderne, c'est à dire vide. Il est vrai que ne sachant rien, il a du mal à communiquer quoi que ce soit qui dépasse les compétences du cerveau profond. Il reconnaît d'ailleurs que l'absence de femme est un problème sur les îles désertes. Bien vu ! Le fils, un peu jeune pour décider par lui-même de se libérer (il en a l'occasion) paiera du prix maximum sa fidélité à son père et sans doute aussi son intelligence limitée. Le père, dans un intéressant retournement de situation qui pouvait mal finir y ajoutera son talent pour que tout se termine très mal. Bon débarras, oserais-je...

Tout cela se déroule dans un décor dont l'auteur, amoureux du noir le plus sombre, ne nous donne à voir que ce qui cloche : solitude, froid, humidité, tempête et marécages. Cela fait beaucoup, presque trop. Ce roman catastrophe se lit bien et vite, mais me semble un peu plombé et trop riche en invraisemblances pour être pris au sérieux. Il est aussi assez typique d'une maladie actuelle qui veut qu'à travers des horreurs et les sentiments qu'elles excitent, un roman recherche, pour ses personnages, la compassion du lecteur.

Je retourne à Montaigne.

Folio (2008) - 232 pages