cheng mort

 

L'auteur expose ici sa vision du lien entre la vie et la mort, vision qui prend appui sur les ressources de sa double culture chinoise et occidentale et sur l'usage d'un mode d'expression poétique bien adapté à ce sujet que le langage courant n'épuise pas.

 

Quel est alors son fil conducteur ?

D'abord, FCh postule l'existence d'un principe de vie non dérivé de la matière, qui possède une réalité hors du temps et de l'espace. Point sans doute contestable, mais qui ne conditionne qu'assez peu ce qui suit. Il développe en particulier la très belle image de la vie perçue comme un arbre, dont la mort est le fruit, semence du cycle suivant. C'est le "Meurs et deviens ! " de Goethe.
D'où l'idée d'un Double-Royaume, caractérisant notre univers dont nous ne connaissons et n'analysons d'habitude que la partie "vivante", matérielle, mais qui serait plongée dans ce second Royaume, spirituel. FCh suggère une projection dans ce second Royaume où la démarche va alors de la mort à la vie, où ceux qui ont été nous parlent encore : écoutons-les, car même s'ils nous avaient beaucoup donné vivants, ils ont encore des choses à nous communiquer et à nous aider à sentir.

L'instant, essence du monde matériel

Une autre considération me paraît précieuse : chaque instant est notre propriété, unique, entière et personnelle. Chaque instant est le produit unique de tout ce qu'est l'espace et le temps où nous sommes plongés, produit dont la réalisation effective prend forme dans et par ce que nous sommes, êtres spécifiques, traçant notre histoire unique. Et il va sans dire que cette histoire se trouve contrainte par nos désirs de réalisation, de dépassement et de transcendance, que la conscience de la mort impose.

La beauté et le mal

Sur le chemin de ces instants, deux mystères se présentent à l'entendement : la beauté et le mal.
Ni l'un ni l'autre ne s'expliquent ni se mesurent, mais ils se perçoivent d'autant mieux que nous avons la capacité à embrasser le "Double-Royaume". Pour faire bref, disons que la beauté est un accord, en résonnance, avec le souffle, le rythme du monde et que le mal est ce qui brise cet accord. On comprend assez bien cela lorsqu'une sculpture de 2500 ans nous touche encore. On peut alors imaginer que celui qui a conçu cette oeuvre avait trouvé quelques portes du "Double-Royaume", antinomie de l'impermanence des instants. FCh espère que nous saurons en garder quelques-unes ouvertes.

Quant au mal, cette rupture d'accord au monde, je crains que l'affaire soit très compliquée et que cette définition ne couvre que partiellement ce qui nous arrive. Elle ne concerne d'abord que les actes des humains, car les furies de notre terre, comme le tremblement de terre de Lisbonne ou la grippe Espagnole ne sont en rien des ruptures, bien que des aspects du mal. Ils sont la face courroucée de notre divinité tutélaire, la terre, la même qui sait aussi nous offrir la face apaisée de sa splendide beauté.
Et, quant au mal fait par l'homme, l'auteur parle ici du mal absolu, évident, universel. La réalité est plus nuancée. Le glissement vers le mal est progressif, dépend des groupes humains et de leurs coutumes et ne permet guère d'en parler en termes absolus. La méditation de François Bizot (Le silence du bourreau) ou le rapport de Hannah Arendt (Eichmann à Jérusalem), par exemple, prennent mieux en compte cette complexité du mal humain.

Eternité ?

Enfin la 4e méditation, qui porte sur l'éternité et sur les rouages compliqués des religions pour en rendre compte, je n'en parlerai pas ici, car je me sens trop étranger à ces spéculations. L'éternité n'est pas un concept primaire, mais un dérivé de celui du temps, invention pratique de l'homme pour représenter son univers, mais dont la réalité ne me semble pas solide. Alors l'éternité... Excellent fonds de commerce des religions, néanmoins !

Le livre se termine sur des pages de poésie, représentation par les espaces entre les mots des idées apportées plus haut. Une très belle conclusion à lire et relire d'un livre riche et d'une grande humanité, dont je partage assez bien les propositions, mais assez peu la vision spirituelle censée les justifier.

Albin Michel (2013) - 172 pages