bizot silence bourreau

 

A travers l'histoire de sa relation avec Douch, un bourreau Khmer Rouge qui l'a incarcéré puis libéré (cf "Le Portail"), FB pose sans fausse pudeur la question du mal et de sa présence en nous. La "banalité" du mal ? Y a-t-il une réponse acceptable à cette question ?

 

De 1971, date de sa capture, à 2009, celle du procès du bourreau, FB a du successivement subir incarcération et interrogatoires, retour providentiel à la vie normale, oubli du traumatisme, découverte des crimes de l'homme presque oublié et pardonné et témoignage lourd devant le tribunal qui jugeait Douch. Une vie, presque, pendant laquelle Douch aura été une épreuve à la fois détestable et éclairante. Eclairante aussi, en effet, car elle révèle à travers les circonstances supportées, les débats où une vie peut basculer et les longues méditations, la fraternité explosive de tout homme et du mal.

L'enseignement de cette expérience que FB nous fait partager est complexe et on peut peut-être essayer, au risque d'être incomplet, d'en tirer quelques remarques majeures, d'ailleurs admirablement exposées dans les 30 premières pages.

- L'homme ne réalise son humanité qu'en prenant une distance suffisante par rapport à ses émotions. Il faut le dire et le répéter à notre époque, où le sentiment personnel se substitue à la réflexion et à la culture et est l'objet d'une révérence, à mes yeux, excessive. Les sentiments sont plus proches de la bête que la distance qu'implique la raison.
- Quand un bourreau écrit un mot tendre à sa femme et ses enfants, il ne faut jamais oublier que c'est le même homme aux facettes multiples, comme le constatait aussi Hannah Arendt dans 'Eichmann à Jérusalem".
- Enfin, il faut être conscient que c'est notre propre humanité qui se révèle dans les actes effroyables de certains. Nous ne sommes pas faits d'un autre bois qu'eux. La vue de ces actes et la méditation qu'on peut en tirer sont des outils précieux de notre propre connaissance de nous-mêmes, même si cette exposition à l'horreur est, à mes yeux, à manipuler avec précaution.

Ajoutez à cela mille réflexions que Douch et son procès ont inspirées à FB et qu'il exprime avec modération dans son témoignage, monument de pondération et d'humanité.

Un très grand livre.

 

Flammarion (2011) - 247 pages