volkov memoires chostakovitch

 

Ce livre est une biographie partiale de DCh, fondée sur des entretiens. Staline et ses méfaits criminels y sont omniprésents ainsi que leur toxicité sur la vie culturelle russe. Et tout cela est raconté, comme si DCh le faisait lui-même, en oscillant entre désespoir et humour.

 

Ce livre a été l'objet de soupçons : les propos rapportés sont-ils vraiment ceux du musicien, ou ont-ils été "enjolivés" ? De nombreuses personnalités soutiennent leur véracité, quelques autres sont restés sceptiques. Mais, qu'est-ce qui pouvait rester sincère dans cet univers de l'illusion mystique de l'URSS ? Et ne fallait-il pas forcer le trait pour être visible, face aux réfutations éhontées des adorateurs de la secte communiste ? J'accepte pour ma part que ce qui est écrit là reflète l'esprit de ce que DCh avait à dire, que sa musique à entrées multiples nous raconte si bien.

Ce n'est en tout cas pas une biographie classique. On n'y parle jamais de la famille de Dch, ni de sa vie quotidienne ni de ses sentiments personnels. On y parle de musique, de musiciens et, ad nauseam, de Staline, le génie sans limites et créateur de toutes choses, le "Chef et Maître". Qui se révèle par ailleurs dans ses actes comme un tyran rustre, brutal, ignorant et cruel.

Dès 1936 DCh perd son auréole : Staline n'a rien compris à "Lady Macbeth de Gdensk", ce qui conduit à un rejet sans appel et vaut menace sur la vie de l'auteur. DCh fait alors sa petite valise qu'il pourra prendre avec lui quand on viendra le cueillir, au petit matin en général. Mais il a une capacité exceptionnelle de résistance et, en pratiquant le double langage musical, en acceptant que ses oeuvres sincères restent cachées, en écrivant souvent pour lui seul de la musique de chambre (les quatuors surtout), en acceptant des compositions et des déclarations de circonstance, il sauvera sa peau. Il y aura des phases plus dures que d'autres (Jdanov après la guerre de 40), mais il ira au terme de sa vie sans incarcération, sans doute protégé aussi par sa notoriété internationale. Ne jugeons surtout pas ...

Il faut lire ce livre pour deux raisons. L'une est de comprendre les ravages culturels et humains du communisme réel. On le sait déjà, mais un rappel n'est pas inutile. L'autre est les portes qu'il entrebâille sur l'oeuvre d'un des plus grands compositeurs de notre temps, qui ne s'est laissé dévorer ni par une secte toxique, ni par le sérialisme qui en a été une autre. Bien que discret, DCh laisse filer ici et là des remarques sur ses oeuvres. Il nous aide, par ses commentaires, à mieux décoder le double langage qu'il était contraint d'avoir. Et, comme il le répète souvent, il faut écouter et écouter encore. La musique le mérite !

Le livre est un peu difficile à lire, composé de faits, de commentaires, de remarques en passant, de réflexions sur l'époque exceptionnelle que DCh a vécue. Et il termine par un aveu : "Mais, non, je n'ai plus la force de décrire ma triste vie". Vie de peur, certes, mais créative malgré tout. Une des plus belles pages du 20e siècle. Triste peut-être pour le compositeur, mais si intense...

 

Albin Michel (1980) - 327 pages