levenson einstein berlin

 

La vie d'Einstein a flotté sur le chaos politique de la première moitié du 20e siècle. Elle a pourtant été incroyablement féconde et au coeur des progrès scientifiques. Ce remarquable livre nous propose à la fois de partager la vie professionnelle et privée de cet homme exceptionnel, mais aussi de suivre tous les événements dramatiques de cette époque, exposés ici très factuellement et sans leçon de morale autre que celle qui se dégage des faits.

 

N'oublions pas qu'Einstein était suisse, qu'il est aussi devenu allemand pour accompagner le cheminement de sa carrière. Il renoncera ensuite à cette nationalité sulfureuse à la montée du nazisme et il finira sa vie, américain, à Princeton. Détaché, alors ? Oui, il l'était de toute nation (bien que sioniste), mais aussi de sa famille, de ses amis, de ses maîtresses, des religions et des autres idéologies pour lesquelles sa tolérance était faible.

Il avait, en revanche, une passion qui l'amenait encore à produire quelques notes sur son lit de mort : comprendre la nature, non en la contemplant ou en en faisant une nouvelle idéologie, mais en traduisant ses mouvements, leurs causes et leurs conséquences en lois physiques que l'on puisse écrire en formules mathématiques, seul langage universel des hommes. Il y réussira exceptionnellement, car il n'y a pas un domaine des percées scientifiques du 20e siècle où son apport n'a pas été déterminant.

Il eut cependant, en dépit de sa liberté à mettre à l'épreuve les idées les plus saugrenues, deux 'blocages" que l'histoire a retenus : le refus de la non-causalité de la mécanique quantique en dépit de ses incroyables succès prédictifs et le souci, qui restera inabouti, d'unifier par de grandes lois universelles, toutes les forces qui agissent dans l'univers. Est-ce un échec ? Je n'en suis pas certain. Nous vivons l'illusion de croire que nous connaissons toutes ces forces, quand 90 % de l'énergie présente dans l'univers nous reste encore totalement mystérieuse et, à mon humble avis, ne relève pas des forces connues et n'est peut-être même pas une énergie...

Que ces considérations ésotériques aux non-physiciens ne découragent pas le lecteur, car le meilleur de ce livre n'est pas là. Il est dans recension que fait TL des événements et des lames de fond qui ont détruit l'Europe et l'Allemagne deux fois en 25 ans, sans doute pour s'assurer que le travail était bien fait. Les leçons de 14-18 ne seront pas tirées à la fin de la guerre et un endettement sans contrainte apportera l'hyperinflation de 1923 et la récession. La crise de 1929 apportera le pouvoir à Hitler sur un plateau, servi par une république de Weimar molle et désorientée et dont tout permet de penser qu'elle aurait pu choisir une autre issue comme le montre ce livre.

Et pourtant, la vie continuait, misère pour certains, folie débridée pour d'autres, paix des laboratoires pour Einstein. Peu de périodes auront été aussi créatives, sauf peut-être la fin du 19e siècle. Mais il s'agit d'une création qui aura tout déconstruit, appariée souvent au goût invétéré de l'homme pour la violence, dans la peinture, la musique, l'éthique et sans doute aussi dans la science qui n'aurait pas progressé comme elle l'a fait, sans le sacrifice, souvent tumultueux, des principes séculaires les mieux établis (causalité, par exemple) et que nul n'aurait osé jeter à l'eau 50 ans plus tôt. Le désespoir nihiliste apporté par 14-18 n'y est sans doute pas pour rien.

Si vous lisez assez l'anglais pour vous jeter à l'eau (mon dictionnaire m'a été indispensable...), précipitez-vous. Ce livre est un chef-d'oeuvre et j'enrage qu'il ne soit pas traduit.

 

Bantam (2003) - 486 pages