sombrun initiation chamanes

 

Ce récit, pour lequel je fais l'hypothèse de la sincérité, est celui de la découverte, par une jeune femme occidentale, de sa capacité d'extase chamanique volontaire, sans l'usage de substances chimiques. Cela pose bien des questions....

 

Devenir chamane.

D'abord, il faut savoir que CS vient de subir un choc affectif grave. Il s'agit en fait d'un décès, dont elle refuse d'accepter que l'absent, ici et maintenant, ne l'attend pas, ailleurs et autrement. Elle est, incontestablement à l'écoute d'une autre voix. Cela l'a-t-il aidée ? Sans doute.

En revanche, elle aime la vie, elle est curieuse, ouverte, prête à bien des expériences. Elle n'intellectualise pas ses réactions, en particulier devant sa perte de conscience devant les résonances d'un tambour de chamane, où elle se découvre incapable de résister à entrer en transe. Elle a certes peur, mais sa curiosité enjouée, presque décontractée, voire désinvolte, sans référence intellectuelle théorique, l'emporte. Il va falloir aller plus loin et elle ira. Elle n'a rien à perdre.

Notons en passant que ce récit est aussi un récit de voyage difficile, aux conditions rudes, dans un pays peu connu, la Mongolie. Cela déjà le rend intéressant.

Une disposition mentale innée.

On reste néanmoins stupéfait que sans parler la langue, sans vraiment connaître la culture mongole, CS ait été reconnue comme future chamane par la famille mongole qui l'héberge et par les chamanes locaux, au seul vu de ses réactions physiques au son du tambour. Non moins surprenant est le fait qu'elle réussira en quelques stages de plusieurs mois à s'approprier les gestes et les rituels de ce monde, sans, bien entendu, en endosser la fonction sociale. Ayant eu, au Ladakh, plusieurs rencontres avec des chamanes, j'avais apprécié le rôle qu'elles jouaient dans leur communauté, derrière l'autorité que leur conférait leur talent, dans leur milieu. Il en est sans doute de même en Mongolie, ce que CS aborde peu.

Cela incite à penser que les structures mentales en cause sont propres à notre espèce et non à notre culture : un son particulier, chez ceux qui y sont sensibles, va déclencher des phénomènes indépendants de la culture acquise. Et, à mon avis, si le phénomène vécu par CS n'est pas plus fréquent, c'est que notre éducation donne autorité à notre raison et donc à réprimer la naissance d'une telle sensibilité mystérieuse qui lui échappe. Certaines transes, par exemple associées à des musiques rythmées ou à l'exaltation de la foi sont, dans notre culture, un peu plus "socialement correctes".

Une inégalité humaine flagrante.

Je voudrais d'ailleurs noter au passage, combien les hommes sont inégaux en fait, même s'ils le sont égaux en droit. Pourquoi CS et peu d'autres, bénéficie-t-elle de cette aptitude ? Pourquoi X et non Y trouve-t-il dans la musique ou la peinture une délectation ? Pourquoi Z et non W jouit-il littéralement sur une énigme mathématique et la résout-il ? Cela mériterait une plus longue réflexion et aiderait, peut-être, à rendre à l'éducation un rôle sur ce qu'elle peut faire et non sur ce qu'elle a l'illusion égalitariste de pouvoir atteindre.

Spiritualité ?

Si j'accepte la réalité de l'extase physique, je suis, en revanche, circonspect quant aux interprétations associées : communications avec des esprits, dialogues dans un autre monde, hommages rendus et offrandes propitiatoires, etc. Tout cela me parait un habillage culturel permettant de nommer, de s'approprier et d'ordonner des choses que l'on ne comprend pas, au risque d'une certaine naïveté. J'ai d'ailleurs parfois l'impression, à tort ou à raison, que c'est aussi le point de vue de CS, mais qu'il lui est difficile d'avouer.

Un livre tout à fait intéressant que je recommande bien vivement.

 

Pocket 12439 (2004) - 212 pages