serres patrice ordre alphabetique

 

Cet essai est à la fois une plongée dans l'origine historique de l'écriture, mais aussi une thèse sur le lien entre la mesure du temps et l'écriture. Il est souvent passionnant, parfois approximatif, voire inexact.

 

La première partie (l'ordre alphabétique) a beaucoup appris au non-spécialiste que je suis. L'origine commune des caractères est bien mise en évidence, sous la réserve que les glissements décrits soient historiquement exacts. Le lien d'influence, par exemple, de l'ougaritique sur le phénicien, indéniable pour l'auteur, ne me convainc qu'à moitié. En revanche, toujours dans cette partie, la sécabilité des pictogrammes égyptiens m'a ouvert une perspective à laquelle je n'aurais jamais pensé seul, sur les liens entre l'égyptien et nos alphabets.

La seconde partie est consacrée à la mesure du temps et à sa représentation écrite, sujet déjà en partie abordé dans la première partie. Le nombre 12 se révèle alors comme incontournable, puisque la façon la plus simple de diviser le temps solaire (l'année) est de le faire en utilisant les cycles lunaires que tout le monde peut observer. Hélas, cette division par la lune marche assez mal et il faudra plusieurs milliers d'années pour arriver à un système encore bancal aujourd'hui. Notons au passage, ce que le livre ne fait pas, que les peuples du Mexique au 12e. siècle avaient élaboré un système plus précis que le nôtre, encore aujourd'hui, reposant sur des calculs à base 20. Mais cela ne nous empêche pas de vivre, ni la terre de tourner.

Le lien entre notre alphabet (26 lettres dont 2 redondantes, soit 24) s'établit alors assez bien avec les 2 x 12 mois et avec le passage des constellations. L'identification pratique des lettres et des phases du temps est naturelle, sans qu'il y ait là quoi que sort de bien mystérieux ou surprenant.

Là où les choses se gâtent, c'est à partir de la page 106, où l'auteur veut parer ses propos de couleurs mathématiques. Il traite, par exemple, le nombre 12 d'irrationnel, ce qui, si les mots ont un sens, ne tient pas, ou, aurait au moins justifié quelques lignes d'explication sur l'usage particulier évoqué. Il se paie aussi de jolies phrases en ajoutant, par exemple, "qu'une structure englobant la dimension temps ne peut évoluer qu'en obéissant à un ou plusieurs nombres irrationnels", ce qui ne veut strictement rien dire, à mes yeux, dans l'univers des mathématiques. Il ajoute enfin quelques considérations sur les intervalles musicaux (il est vrai qu'on y retrouve naturellement le nombre 12), problème délicat, mais au fond assez simple, qu'il traite avec beaucoup de légèreté. Il se trouve que c'est un sujet que je connais un peu.

Pour moi, le livre se termine là après ces quelques pages qui qui n'apportent pas grand chose au sujet de fond en espérant le conforter par des références scientifiques, au fond inutiles. Il se remplit ensuite de considérations qu'on peut qualifier de spiritualistes, auxquelles je suis fermé. Elles tendent toujours, pour moi, à donner un sens occulte, voire transcendant, ou une valeur de réalité toujours un peu mystérieuse, à des lettres, des nombres, des signes, qui ne sont que des outils de représentation du monde (par exemple du temps ou du langage parlé), inventés par l'homme, pour l'homme.

Que cela ne vous prive pas de lire au moins le début de ce livre, il le mérite.

Presses du Châtelet (2010) - 305 pages