cocho carnets

 

Nous sommes les dernières générations à avoir eu un grand-père ou un arrière-grand-père, que nous avons connu et qui ait pu nous dire quelques mots sur cette guerre de 14-18. Ici, l'auteur, un grand-père que nous nous découvrons, a pris sa plume et jour après jour, ou presque, a décrit ce qu'il a vécu. Précipitez-vous pour le lire, c'est extraordinaire d'intensité simple et directe, sans idéologie ni bons sentiments, d'une vérité qui saute aux yeux.

 

Les ravages de la guerre

Nous savons tous le mal que cette guerre a fait à l'Europe, signant sa lente disparition du monde qui se construit. L'idéologie nazie et ses ravages et ceux, à mes yeux au moins aussi graves du "socialisme scientifique", car le virus est toujours là, ont achevé le désastre, aujourd'hui consommé.

La mort

Une remarque d'abord sur le rapport de l'homme à la mort, rapport que PC a vécu cent fois, voyant tomber autour de lui et pas toujours en première ligne, des hommes dont il avait apprécié la valeur. La mort que l'on voit est toujours celle des autres et quelle que soit notre peine, elle est toujours accompagnée du réconfort que donne notre propre survie. PC éprouve ce sentiment paradoxal et tragique à de maintes reprises. En cela, il est pour moi un sage, de l'accepter comme il vient.

Une foi "philosophique"

Il résout d'ailleurs ce conflit intérieur par sa foi, qu'il affirme avec un naturel imperturbable en dépit de la situation où il se trouve. Et cette situation finit presque par paraître, sinon normale, du moins dans l'ordre des choses de ce monde. Et sans doute l'était-elle, puisqu'elle a eu lieu. La vision française faisait alors du "boche" un être vil et destructeur qu'il fallait combattre. Mais il y avait aussi, derrière ce "boche", un homme, un frère, qui, s'il était blessé au prisonnier, recevait les égards dus à un semblable. PC vivra cela dans l'autre sens d'une manière touchante, pendant sa captivité.
Cette foi, dont la forme a presque disparu aujourd'hui est admirable, même pour l'athée que je suis. Elle n'est pas l'affirmation d'une vérité ou de dogmes transcendants, si souvent grotesques pour ceux qui ne les partagent pas. Elle est au contraire une pratique philosophique de notre présence dans un monde, dont nous ne percevons que peu de chose, mais où nous devons être heureux, c'est-à-dire en harmonie avec lui, pour le servir et en faire notre miel. Qui ne pourrait souscrire à cela ?

Le monde d'hier

Ce livre est précieux, car il nous apporte un bref moment d'intimité, avec un monde qui a disparu. A la stupéfaction de PC, les empires s'écroulent (austro-hongrois, germanique, russe, ottoman) livrant, sans préparation, ces peuples à la démocratie. Notons au passage que les Turcs en ont fait, jusqu'ici, un meilleur usage que les Allemands, sans parler des Russes...
Dans la sphère privée, aussi, bien des comportements vont évoluer : citons, par exemple, outre cette foi apaisante déjà évoquée, la confiance absolue dans son couple que manifeste PC, sa capacité à voir l'homme derrière l'ennemi, ce que les guerres totales, ou révolutionnaires (on dit aussi terroristes) vont inverser. L'homme est devenu subordonné à l'idée, souvent folle et toujours collective. L'avatar "écologiste" nous montre que les totalitarismes continuent à bien se porter. Et même si le monde de PC fut effroyable, le nôtre, lorsque les circonstances lui permettent de se révéler, est encore pire. Il nous reste d'espérer que ces circonstances seront rares.

Un paradoxe mortel

Un autre point mérite, je crois d'être relevé. PC fait souvent remarquer la monotonie des jours qui passent, lorsque l'ennemi est calme. Il sait alors jouir d'un moment de soleil, d'une fleur, d'un paysage et il nous enseigne combien cela est fugitif et fragile. Le peintre allemand, Franz Marc, qui, lui aussi, tenait son journal, note l'irréalité de cette situation paradoxale. Son texte, par bien des aspects, montre d'une manière évidente son appartenance au même monde que PC. Il sera tué très vite, devant Verdun, par des balles françaises.

Une leçon de sagesse

Ce livre est une formidable leçon de sagesse adressée à notre époque, où nous ne savons plus sur quoi faire porter notre indignation (le sort des escargots, les ours blancs, les acquis sociaux menacés, le CO2 anthropique, par exemple) pour cacher notre incapacité à penser le monde tel qu'il est. PC nous rappelle que c'est à nous de nous harmoniser avec le monde, aussi cruel soit-il, quand nous pensons si souvent qu'il faut, au contraire, le modeler pour y projeter nos idéaux, sociaux, politiques ou religieux. Platon, quel mal nous as-tu fait !

Une belle leçon, que nous donne ce livre remarquable et bien écrit.
Et, merci au passage, à Françoise Gatel, la petite-fille de Paul Cocho, qui a permis à ce livre d'exister.


Presses Universitaires de Rennes (2010) - 225 pages