rodenbach bruges la morte

 

Si jamais, vous vous sentez en forme, et que cet état vous pèse, la lecture de ce roman devrait y remédier. Plus triste, plus sombre, plus gris, serait difficile à rêver. L'humidité et la moisissure de la ville morte, accompagnées des sons lugubres des cloches fêlées sauront ronger votre âme, dans l'hypothèse, heureusement improbable, où vous en ayez une.

 

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D'une pièce de théâtre, issue de ce roman, a été tiré le livret d'un Opéra qui vient d'être donné avec succès à Paris. Il s'agit de "La Ville Morte", de Korngold (1897 - 1957) qui a donné lieu à plusieurs productions réussies.

 

Ce n'est pas, à mon avis, par son histoire, tirée par les cheveux (j'insiste ; tirée par les cheveux !), que ce livre doit son étrange qualité. C'est beaucoup plus par l'analogie entre l'état dépressif du héros veuf, que les images de sa défunte installent dans l'illusion et l'état dépressif d'une ville déchue, morte, qui reflète les éblouissantes façades de sa splendeur évanouie (et devenue, elle aussi, illusion), dans les eaux stagnantes de ses canaux déserts.

 

L'auteur a voulu joindre au texte des photographies, en noir et blanc, de sa ville morte, de façon que ces images apportent leur poids d'évidence sensible au charme délétère de la mort. Cela pour nous rappeler que la mort n'est pas un vide qui s'installe, mais, bien au contraire, une avalanche d'images de ce qui fut, mais que la folie de notre héros confond avec ce qui est.

 

Cette belle méditation sur la mort mérite notre lecture, car elle a assez d'élégance pour être intemporelle. Elle vire parfois à un mysticisme un peu fébrile et tout en détail. rodenbach bruges la morte4Mais y aurait-il des dieux sans la mort et l'attraction-répulsion qu'elle provoque ? Et les dieux eux-mêmes, pour mieux engendrer leurs illusions, ne sont-ils pas morts, comme le Christ en croix ? Et quand Nietzsche a établi leur acte de décès, ne leur a-t-il pas fait le plus merveilleux cadeau : remplacer une réalité défaillante par le rêve et ses cohortes d'illusions ?

GF Flammarion 1011 (1998) - 345 pages