desai perte heritage

 

Voici un livre remarquable, indien, mais qui, comme les plus grands, touche à l'universel. Son style vivant, incisif, le rend agréable à lire en dépit de sa taille.

L'histoire n'est pas celle que décrit la 4e de couverture, de personnages soi-disant dépouillés de leur culture. C'est l'histoire, au contraire, de personnages imprégnés de leur culture, mais qui, à tort ou à raison, souhaitent adopter les modes de vie (et non les "cultures'') de civilisations qui leur semblent plus propices à leur épanouissement dans la modernité, ou, plus simplement, leur font espérer sortir de leur misère.



Le modèle est évidemment l'Occident et ses succès (économie, santé, puissance, liberté), avec lesquels ils ont été mis en contact par l'information, mais surtout la colonisation anglaise. A cela s'ajoutent des expériences d'expatriations réussies, qui scintillent comme un miroir aux alouettes.

Mais, et c'est là toute la trame de ce roman, ces choix (il ne s'agit jamais de'' dépouillements'' qui seraient imposés) conduisent à des souffrances, à des déchirements presque autistes (je pense du juge) et d'autant plus profonds que ces choix ont été absolus et ont voulu faire table rase. Comme les deux soeurs qui prennent leur thé à 5 heures, par exemple. Leur position radicale est ressentie comme une agression par ceux qui les entourent et n'ont pas fait les mêmes choix. Leur cocon d'illusion ne tiendra pas mieux que leur richesse. Ils le paieront par un terrible isolement.

Une gentille amourette, pour moi sans grand intérêt, assure la trame du récit. Le personnage qui m'a le plus séduit est celui de Biju, celui qui a osé l'exil aux USA. Le récit de son exploitation inhumaine dans sa clandestinité est impressionnant, et l'on se doute que KD a observé avec attention aux USA des cas bien réels. En voilà un qui ne retrouve jamais "dépouillé de sa culture'' ! Au contraire, il ne voit rien, ne comprend pas grand-chose, souffre et travaille comme un fou dans l'espoir de quelques dollars à gagner et à rapporter en Inde. Il aura été exploité aux USA, certes, mais c'est chez lui, à son retour qu'il sera pour de bon "dépouillé''. Les choses ne sont pas si simples et la version de KD est tout imprégnée de l'ambiguïté du monde et de sa cruauté envers les faibles qui le sont d'autant plus qu'ils sont coupés de leur société protectrice.

KD, qui a elle-même choisi l'exil et une vie dans une civilisation qui n'est pas celle de son enfance, nous met dans ce roman en face des périls de l'exercice, mais ne le condamne pas. Certains le réussissent ; d'autres (je pense par exemple à Stefan Zweig) en meurent. Biju et les autres ont encore une chance. Ils ont appris quelque chose, on peut l'espérer, dans ce tourbillon de leur vie.

Mais surtout, ne passez pas à côté de ce qui fait la vraie grandeur de ce roman. Ne cherchez pas à faire avancer l'intrigue sans marquer des pauses, auxquelles KD nous invite. Son talent à décrire l'atmosphère, la vie indienne et ses mille détails, est immense. C'est un régal pour le lecteur gourmand.

 

 

Editions des 2terres (2006) - 620 pages