adler islam
 
Voici un livre de géopolitique moyen-orientale passionnant et parfois irritant, bien dans la ligne des écrits de l'auteur dont le savoir est toujours confondant. Le lire suppose de la disponibilité et, denrée plus rare, un refus fanatique des idées simples, souvent dites "de bon sens". Et pourtant sa lecture (suivie au moins dans la foulée de sa relecture) est une porte entrouverte à notre compréhension de ce qui se passe tout près de nous, que nous sentons comme une menace, mais que, globalement, nous ne comprenons pas. AA y voit les affres de l'accouchement d'un monde qu'il espère et qu'il prévoit à la fois.

Il nous montre d'abord comment l'Islam a perdu son unité, même de façade, et a espéré à la fin du XXème siècle la retrouver à travers les grands mouvements laïcs, parfois communisants et qui ont tous échoué. Le livre "Un siècle pour rien" explorait cet situation avec talent. Sans doute, et j'assume cette remarque personnelle, une part essentielle de cet échec vient de ce que le vecteur de ces tentatives tournait autour d'un Sunnisme qui avait tendance à oublier que l'Islam est aussi Chiite. C'est bien d'ailleurs ce que constate AA qui voit deux pôles regrouper, avec nuances, le monde de l'Islam actuel : un pôle plutôt sunnite (Égypte, Arabie, Pakistan, Syrie) et un pôle plutôt chiite (Iran, Turquie bien que majoritairement sunnite et Asie centrale). L'espoir des fondamentalistes d'une grande retrouvaille unifiante (le Califat), hors de la modernité haïe, semble en tous cas peu fondé et démenti par la lutte interne entre les deux pôles.

Or, l'Islam qui ne nous préoccupait plus guère encore récemment est revenu au coeur du monde et de sa stratégie, en particulier par son poids dans les ressources du pétrole et par la menace liée aux extrémismes qu'il véhicule. On voit ainsi ces deux pôles structurer les choix stratégiques du monde : le premier a les faveurs en particulier de la Chine et de la Russie, le second de l'Inde, d'Israël et de l'Europe moins la France qui a longtemps flirté avec le premier. Quant aux USA, qui ont tenté jusqu'à l'impossible de maîtriser l'un et l'autre, leur posture est aujourd'hui délicate.

AA voit l'avenir de ce monde effervescent, non sur un triomphe du bien sur le mal, mais sur un véritable équilibre des deux pôles mentionnés. Turquie et Iran, au prix d'un rapprochement avec l'occident européen pour le premier et de l'acceptation par le reste du monde du nucléaire pour l'autre, en seraient le vrai levier, car capables de modernité et d'ouverture. Sans qu'AA le dise de façon explicite, il est évident qu'il voit dans ces deux pays (si possibles alliés) une nouvelle forme d'un espoir pour cette partie du monde autre que l'enfermement fondamentaliste, sans pour autant renier la culture de l'Islam. C'est là qu'est notre "Rendez-vous", car pour longtemps encore, l'occident peut contribuer à cette issue, autant qu'il peut la faire trébucher.

Deux très bons chapitres sur l'Iran et sur la Turquie ouvrent notre compréhension de ces deux univers que nous avons si souvent tendance à réduire à la caricature.

Je disais aussi ce livre irritant. Il n'est en effet pas un modèle de construction : nous sommes sous le poids d'un flot de paroles, d'incidentes, de références incomplètes, etc. Impossible de dénouer ce qui est attente ou espoir de l'auteur de ce qu'il analyse. Le verbe est privilégié à la pensée. Exactement ce qui caractérisait l'Europe d'avant les lumières et caractérise encore le Moyen-Orient anomique actuel...

Un livre important, néanmoins.

Editions Grasset (2005) - 263 pages