bothorel amour guerre

 

L'auteur, journaliste à l'esprit délié et fort indépendant, a tenu un journal dont il nous donne ici les morceaux choisis pour la période de mai 1981 à mai 2012. Le seul choix de ces dates d'élections présidentielles est la signature d'un tropisme politique et, plus généralement, pour la chose publique. Ses introductions, son "carnet d'adresses" sont exceptionnels. Son talent aussi, pour avoir pu recueillir les propos qu'il nous livre ici, qui manifestent le respect que les interlocuteurs avaient pour lui. Un très beau moment de plongée dans les lieux de pouvoir français, plongée qui ne génère pas un optimisme débordant...

 

Pour préciser ce point, mentionnons une petite phrase (p78) qui révèle son désenchantement sur la qualité des nouveaux chefs. En 1984, JB rencontre le jeune Sarkozy qu'il trouve sympathique, mais dont il constate qu'il "manque de cet art qui est la marque d'une éducation bourgeoise et, loin d'être un handicap, cela devrait le servir". Il en tire alors un pronostic terrible : "L'avenir appartient aux vulgaires, avant d'appartenir aux barbares" ! Sa déception devant la perte de culture des dirigeants politiques est un leitmotiv de cet essai. Elle engendrera quelques remarques cinglantes, comme celles sur la grand-messe de l'unité identitaire menée par ceux qui ignorent le patrimoine culturel français, les nouveaux vulgaires.

Ce livre est d'abord un recueil d'instants, de scènes, de dialogues qui apportent un éclairage et une vie à ce monde du pouvoir, qu'il soit politique, d'argent ou intellectuel. R. Barre, J Chirac ou Giscard, entre autres, tiennent des propos où leurs convictions (de l'instant) ou leurs doutes s'expriment en apparence librement. Cela est souvent savoureux, presque drôle. Art difficile, celui de ne pas faire dire à ses interlocuteurs, avec le recul, ce qu'on aurait aimé qu'ils disent... JB pratique aussi un talent rare, celui de ne jamais être offensant dans ses scènes ou ses propos rapportés. Une sorte de bienveillance règne, vis-à-vis de ce milieu où ce n'est pas la règle.

Il est aussi truffé de notes de réflexion pleines d'intérêt, issues de la fréquentation quotidienne d'acteurs majeurs de notre vie sociétale, comme Mitterrand, Giscard, Barre, Sarkozy, Pinault, Bolloré, Bernheim, BHL, etc. Voici par exemple ce qu'il pense de Fabius (p 89) et qui est l'occasion d'une jolie réflexion plus générale : "En amour, en amitié ou en politique, la complexité d'un personnage intrigue, attire, fascine parfois. En revanche l'ambiguïté dérange, trouble, gêne.... Laurent Fabius est ambigu". En 1986 (p 127), il notait encore la bonne conscience de ces intellectuels français de gauche, adorateurs du marxisme, qui avaient prêché des idées criminelles, mais qui, en dépit des faits, n'ont jamais douté d'eux-mêmes et à qui personne n'a demandé de comptes (c'est moi qui l'ajoute). La France, pays de la raison ? Cette pensée fausse et cynique a largement participé au déclin actuel.

Un tel document, formé de courts passages, incroyablement divers, ne se résume pas et n'ennuie jamais. Il faut le lire et s'y arrêter souvent. Merci à l'auteur pour le cadeau qu'il nous fait là en nous proposant ses notes et pour sa liberté de pensée.

Albin Michel (2017) - 600 pages