banffy vent

 

Il y a longtemps que je n'avais pas lu un aussi grand et beau roman. L'esprit et la qualité des "Buddenbrock" de Thomas Mann, avec une sensibilité aux hommes et à la nature qui lui est peut-être supérieure. Une paisible méditation devant le temps qui emporte tout. Le "Monde d'hier"...

 

Nous sommes en Hongrie, membre de l'Empire vieillissant de Centre Europe, dans les toutes premières années du XXe s. Fausse démocratie parlementaire, dominée par les clans peu soucieux de l'intérêt général et livrée aux conflits privés. La montée des nationalismes, souvent confondus avec la liberté, devient la plaie de l'Empire qui n'a plus ni la légitimité, ni la force pour les encadrer. Derrière un formalisme des gestes, la société se défait et ne perçoit pas le vide qui se crée sous ses pas. Avons-nous changé d'ailleurs ?

La fresque sociale de cette décadence, que présente MB, est une réussite. L'aristocratie, plus ou moins progressiste, l'administration arrogante, un peuple pour l'essentiel attaché à la terre et des laissés pour compte de toutes ces classes. S'y ajoute un clergé conservateur et magouilleur, ni plus ni moins d'ailleurs que d'autres. Individualisme, enrichissement, faiblesse des institutions, tout y conspire. Cette société dont les valeurs sont encore celles du monde rural traverse la même dérive que celle que nous aurons tous connu et que traverse encore une partie du monde.

En parallèle, MB peint dans une tonalité admirable, les destins, presque tous malheureux, de personnages de ces divers milieux. Symbole sans doute de ce monde qui ne tient plus très bien debout. Mais la qualité du récit nous emporte : simplicité des mots, vérité des situations, sans excès ni trémolos. On ne peut qu'être touchés par exemple par le sort de ces anciens aristocrates déchus, seuls, ivrognes, à la dérive. Sans parler du destin du personnage principal qui ne réussit pas à nouer entre eux les fils de la vie, en toute conscience. Ni de cette petite fille de 15 ans, Regina, dont la fascination amoureuse pour un aristocrate en voie de marginalisation symbolise à merveille la nostalgie du peuple pour un ordre qui fuit.

Enfin, prenez le temps de lire les longues descriptions de la nature que va traverser le personnage principal, en particulier en Hongrie. Rien de spectaculaire, mais une touche juste, sensible, due sans doute beaucoup à la qualité de la traduction (Jean-Luc Moreau). Un contraste saisissant entre la stabilité et la paix qui en émane et la vie sociale et politique, folle, qui se déroule sans que personne la maîtrise.

Ce roman est un chef-d'oeuvre à méditer.

Libretto (2011) - 421 pages