hermann jacoby

 

Georg Hermann (1871-1943) est berlinois, écrivain et eut au début du siècle un immense succès en Allemagne. Il écrit le présent roman en 1906, dont l'action couvre la société bourgeoise berlinoise du milieu du 19 ème siècle. Le livre est formé de deux romans distincts, "Jettchen Gebert" et "Henriette Jacoby". C'est de ce dernier dont nous parlerons ici. Il serait difficile de ne pas voir là œuvre d'un très grand romancier classique. Aussi bien l'acharnement antisémite de l'Allemagne d'Hitler que le fanatisme castrateur de l'Allemagne communiste ont bien failli nous en priver. L'auteur mourra d'ailleurs à Auschwitz en 1943.

 

Si ce livre devait être apprécié sur la base de son intrigue, nous n'en parlerions plus aujourd'hui. Elle marque tellement une époque qu'elle est difficilement compréhensible de nos jours tant les mœurs et la valeur attachée aux symboles sexuels comme la virginité ont été bouleversés. Mais, peut-être est-ce moi qui l'ai perdue... Ici une femme y sacrifie, peut-être à défaut d'autre raison de vivre, sa paix d'abord et sa vie ensuite. Était-ce bien nécessaire ?

Ce qui, au contraire rend ce livre attachant, est l'atmosphère remarquablement évoquée de cette société prussienne du milieu du 19 ème siècle, et particulièrement des milieux juifs bourgeois et cultivés, si bien assimilés, qui ont tant contribué à la grandeur de ce pays en apportant chez eux le souffle des idées du monde. Comme le dit l'auteur en 1926 en réaction à la montée de l'antisémitisme : "Leurs salons, avec leurs femmes d'intelligence, sont le premier sol nourricier de la culture allemande, et c'est là que même la renommée mondiale d'un Goethe fut créée". Le personnage de Jason Gebert, auquel l'auteur s'identifie sans doute un peu, est un produit de cette Europe des lumières de la fin du 18 ème siècle, pleine de foi en l'homme et en sa capacité de progrès, par son travail et par son étude. Le milieu juif bourgeois était porteur de cet espoir. L'arrivée du romantisme ténébreux, la revalorisation de mythes à coloration médiévale allait certes donner à l'Allemagne une identité forte, mais elle allait aussi la conduire trop loin, jusqu'à l'infamie nazie. Dans ce sens, ce livre décrit aussi la fin d'un monde, ouvert et européen, qui allait céder la place aux nationalismes tueurs.

Les autres personnages, d'ailleurs peu nombreux, sont souvent passionnants, témoins vivants d'une époque depuis longtemps évanouie. Du bon bourgeois efficace au petit affairiste minable, en passant par l'intellectuel un peu émasculé, tout y passe et bien. Personnages parfois sympathiques ou parfois irritants comme le personnage principal dont le manque de caractère est un peu pathologique. Mais, c'est aussi ça, un roman... La réussite c'est d'avoir fait croire un instant que le personnage existe...

Le style est remarquable par son humour léger, sa distance amicale vis à vis des personnages et de leurs manies. Il y manque cependant souvent le sens de la concision et certaines descriptions mériteraient un petit coup de ciseau ! Ce n'est pas Balzac, ni même Thomas Mann, mais c'est quand même un bon cru.

Édition Albin Michel (2002)