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Je recommande vivement la lecture de ce livre écrit en 1994 à ceux que la fréquentation des sciences ne rebute pas, qui ont un bagage minimal de physique, et une disposition à la logique suffisants. Mais cela ne devrait-il pas, dans le monde tel qu'il est, être au coeur de notre culture ? Les erreurs proférées parfois par des personnages par ailleurs biens sous tous rapports et ayant fait de longues études en font douter...

Roland Omnès est un physicien théoricien qui a beaucoup contribué et participé à la vie intense des années d'explosion de la physique des particules élémentaires, ce qui lui donne une grande autorité sur les sujets abordés.

 

L'objet du livre d'abord : Pourquoi et comment l'homme, lui même part du réel, comprend-il le monde physique, le vrai miracle étant même que cela soit possible ? Pourquoi un tel succès, une telle efficacité, (nonobstant les problèmes de société créés, ce que le livre n'aborde pas) ? La réponse proposée est que le monde a un ordre et que nous sommes construits avec la même substance que ce monde, sujets au même ordre. Et surtout, l'auteur montre que l'on a du déplacer la contemplation des faits et la compréhension en termes quotidiens de la physique de leur piédestal d'outil universel et obligé de la connaissance pour en faire les conséquences, dans un cadre précis, de principes formels et mathématiques de la représentation humaine du monde. Et sans doute cette voie est elle féconde, puisque la puissance prédictive de ce formalisme est prodigieuse ! Le contenu du livre, ensuite :

- La connaissance et la description des lois de la physique ont progressé de simples connaissances empiriques en connaissances de plus en plus liées à un formalisme mathématique qui les décrit. Toute la première partie de ce livre retrace l'histoire de la physique classique et l'aboutissement à ce formalisme.

- Ce formalisme fait perdre la prééminence aux concepts familiers, légués par notre éducation : localité (chaque chose est à un lieu précis), déterminisme (lien des causes et conséquences), unicité, etc., ainsi que l'intelligibilité en termes quotidiens des lois physiques, conséquence de ce formalisme. En revanche, il oblige à un effort de rigueur implacable. L'expérience, la mise à l'épreuve permanente, en vérifie l'efficacité et lé justesse des prévision.

- Le sens commun, la compréhension classique en termes de tous les jours, a un peu disparu (lois de Maxwell, relativités, mécanique quantique). Il va réapparaître comme cas particulier, dans des limites précises, comme conséquence des principes formels. C'est un moment fort de ce cheminement que cette réconciliation intelligibles des formalismes étranges exigés par la description du niveau atomique et ce qu'on peut observer dans la vie courante. Réconciliation bien nécessaire !

- Mais il reste entre mathématiques (jeu de concepts) et la réalité physique quelque chose (la béance décrite dans la troisième partie) qui ne permet pas de les assimiler l'un à l'autre. Un exemple (pas dans ce livre) : rien dans le monde physique n'est infini, ni grand ni petit. C'est la base même de toute une réflexion actuelle à valeur prédictive forte (théorie du chaos). Or l'infini est le pain quotidien des mathématiques.

- Alors, et c'est la quatrième partie de ce livre, existerait-il, comme le pense l'auteur un domaine du réel dont la représentation humaine est la science, et un autre domaine qu'il appelle le logos, l'ordre du monde, dont la représentation humaine serait les mathématiques ? Les deux sont bien entendu liés, l'ordre, le logos, s'imposant au réel comme les mathématiques s'imposent à la science en termes de représentation humaine. Vaste champ de travail que, peut-être un jour, la mise en évidence dans notre cerveau (cuisine de la représentation) des liens unissant mathématiques et sciences aidera à inférer la relation entre "logos" et réel ?

Autour de cet axe se greffent mille incidentes de grand intérêt : philosophie et raison (p. 118), rappel (si souvent oublié) que que les théories ne deviennent jamais "fausses" mais sont complétées hors des limites où elles sont justes par celles qui leur succèdent (p. 347), déterminisme et mécanique quantique (p.291), limites de l'usage du sens commun (pp. 295-297) et bien d'autres comme par exemple la description de la méthode scientifique (chap. 14).

Un livre qui ne se donne pas, mais récompense ceux qui n'ont pas trouvé refuge à leur paresse dans le "je ne suis pas bon en maths" traditionnel.

Éditions Folio essais 256 (1994)