bonnot berlin
 
Si vous aimez la musique, vous connaissez Wilhelm Furtwängler. Et vous savez que ce chef d'orchestre exceptionnel a continué à défendre la musique et à diriger le Philarmonique de Berlin sous les dictateurs nazis. Nazi lui-même ? Idéaliste hors-sol ? Fou de pouvoir ? Effrayé par l'exil ? L'écrivain propose dans un très beau roman un récit possible de la vie de ce chef, utilisant des faits réels, mais liés par une intrigue imaginée. Une manière de nous associer aux choix qu'il a dû faire et de nous laisser toute liberté pour répondre à la question de ce que nous aurions fait dans sa situation. Les jugements hâtifs actuels, nourris d'une connaissance historique, ne répondent en rien à cette question. Bien entendu, seul l'effort de se replacer au cœur du drame, comme le fait ce roman, est judicieux, même si la question reste largement ouverte à la fin de la lecture du roman.
 
Composé pour donner chair à cette réflexion, c'est un bon roman classique et son intrigue est agréable à suivre. Une grande cantatrice que le chef a fait travailler a un fils doué pour la musique. Elle va le lui présenter. Une relation se nouera entre eux, professionnelle, mais pas seulement, relation qui conduira le jeune garçon à devenir une sorte de second Furtwängler. Le dénouement de l'histoire fournira quelques clés supplémentaires sur la nature de leur relation. Au cours de cette initiation, le maître expose sa vision du métier de chef, sa relation avec les musiciens, son travail musical. Passionnant. Mais, même si bien des choses sont dites, fondées sur des documents réels, je crois, le mystère de ce métier, si singulier, restera encore bien épais après avoir lu ce livre !
 
L'autre part du roman est l'interaction toxique du nazisme et de l'orchestre. Le chef verra, sans démissionner lui-même, une part importante de ses musiciens démis de leur fonction pour origine juive, y compris son premier violon. Pouvait-il accepter cela ? Il est naïf de dire aujourd'hui ce qu'il fallait faire. Mais dans le feu de l'action de l'époque où le chef avait encore du pouvoir, la tentation était forte de garder ce pouvoir intact pour sauver ce qui pouvait l'être. Nous savons aujourd'hui que ce fut sans succès. Sans doute Furtwängler était-il naïf, mais son immense prestige mondial qui avait fait de lui un "trésor national" allemand, lui laissait l'espoir de pouvoir sauver l'essentiel. Et, pour lui, l'essentiel était la tradition musicale et son maintien dans une Allemagne devenue folle. Au mépris de quelques pertes ? La fin du roman est touchante, qui montre les remords du chef, face à l'échec de sa stratégie de compromis.
 
Voici donc un beau livre sur la place et le pouvoir d'un artiste majeur, manipulé par un pouvoir totalitaire, comme Chostakovitch l'a été par les Soviétiques, avec, en plus, une menace constante sur sa vie. L'un comme l'autre a survécu, mais comment ont-ils vécu ? Quant à l'exil, Stefán Zweig nous a appris qu'il n'était pas non plus une solution sans risque, lui qui s'y est suicidé. Alors ?
 
Plon (2021), 360 pages