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 Shen Fu est un lettré chinois de la fin du XVIIIe siècle qui, chose rare à son époque, donne un récit de sa vie privée, simple et sans emphase. Très pauvre, il sait néanmoins l'art de la belle vie et le pratique, renforçant ainsi ce que nous pressentons bien souvent, à savoir que le bonheur, s'il existe, est au fond de nous et nulle part ailleurs. Fort de ce bardage protecteur, il traverse une vie difficile, parfois cruelle, avec l'âme sereine. Et nous offre le tableau animé d'un pays et de moeurs remarquables, croquées ici sans souci de paraître ni de convaincre.
 
L'intrigue est tissée par ses rencontres, ses flâneries, ses beuveries et son amour partagé avec Yun, son épouse qui devait mourir très jeune. Notons au passage combien en un peu plus de 200 ans, la conduite d'une vie a changé. Non parce que l'homme est différent, mais parce que sa qualité de vie, sa santé, sa protection, son éducation, ses devoirs multiples et codifiés l'ont placé au coeur d'un réseau d'obligations qui l'entravent et lui ont fait perdre l'exercice de sa liberté. Ici, au contraire, notre homme respire au rythme de la nature et de son être, rencontre des commensaux, fait de la poésie, découvre les sites remarquables de son pays. Une forme bien oubliée d'équilibre modeste avec le monde, généralement rejetée aujourd'hui en raison des idéologies dominantes de l'avoir, de la valeur salvatrice du travail et de la prééminence du collectif sur le privé. Peut-être sommes-nous devenus trop nombreux...
 
SF nous fait aussi faire un magnifique voyage dans un volume d'espace-temps disparu. Un monde où celui qui l'aborde avec empathie et les mains vides, mais l'oeil ouvert va trouver matière à construire son bonheur. "Avec les arrangements de fleurs et de rocailles, on peut non seulement composer de petites scènes pittoresques, mais en plus grand, il est même possible de créer tout un monde imaginaire, devant lequel il ne vous faut plus qu'une tasse d'un thé délicat, pour permettre à votre esprit de voyager rêveusement" dit-il page 78. Mille autres détails de la vie chinoise de cette époque nous sont ici rapportés, qui ont pour nous valeur d'histoire. Mais peut-être est-ce surtout pour leur poésie qu'ils nous touchent et par la sagesse qui en émane, fondée sur la valeur de chaque instant qui passe et que nul ne saura savourer à notre place.
 
Un très beau livre, paisible et humain, écrit avec une incomparable légèreté et qui exprime une félicité simple et un accord avec la vie dont on ne peut que rêver. La belle traduction de Simon Leys contribue aussi à la qualité de ce livre.
 
J C Lattès (2009) - 265 pages
 
 Note : Ce livre avait déjà fait l'objet d'une fiche en 2009, que vous pouvez trouver ici.