schwarz amnesiques
 
On ferme ce livre profondément touché par la qualité et la pertinence de la réflexion qu'il propose sur les mécanismes humains qui ont conduit et qui conduisent encore au mal. A travers son expérience propre au sujet de la guerre de 1940, l'auteur franco-allemande nous fait partager la question qui l'obsède : quelle part de responsabilité ont ceux qui, face à des faits indiscutables, ne disent pas "Non !" mais se glissent dans le refuge du conformisme ou de l'indifférence, prenant souvent le masque de la tolérance et renoncent ainsi à influer sur le cours de l'histoire. GS les nomme les "Mitläufer", les compagnons de route. Il ne faut pas croire, dit-on, que les peuples sont toujours de simples victimes de leurs dictatures ; qu'ont-ils fait pour l'éviter ?
 
On pourrait penser qu'en près de 70 ans tout doit avoir été dit sur le nazisme et ses clones. Beaucoup l'a été, mais les mécanismes humains qui l'ont rendu possible sont-ils bien compris et sont-ils éradiqués ? Lorsqu'on sent de nos jours, au fond de nos peuples européens en mal d'identité, des remous de la pensée politique qui, dans la couleur brune, cherchent encore un modèle, un idéal, face à la lenteur circonspecte des démocraties, on se dit que les leçons de l'histoire sont en train de se perdre. Ce livre froid et direct nous le rappelle magnifiquement, tant à travers un récit familial éclairant qu'à travers les réflexions induites qu'il propose autour de ces faits anciens. Hanna Arendt parlait de la "banalité du mal" face à Eichmann ; c'est ici la banalité de la tolérance (indifférence ?) au mal qui est en cause et qui a profondément ému et interpellé l'auteur. N'oublions pas non plus ce que cette réflexion doit au "Discours de la servitude volontaire" d'Étienne de la Boétie.
 
C'est aussi un livre utile, car il nous parle d'un sujet rarement évoqué, le drame qu'ont vécu les Allemands pendant et après cette guerre qu'ils avaient provoquée. Ce sont des hommes et leur souffrance fut immense. Un pays détruit, des millions de morts, des déplacements "ethniques" décidés par les vainqueurs, des trésors nationaux exterminés, l'humiliation, la famine persistante, la dure loi des occupants... Ce qui fut la principale gloire culturelle de l'Europe au 19e siècle et au début du 20e n'est plus. Qui n'a pris conscience que tout cela a privé l'Europe de la place qu'elle aurait pu avoir et que, sans doute elle ne retrouvera pas ? Et que la Shoah n'a pas le monopole de l'horreur ? Merci à l'auteur de le rappeler avec tant de simplicité, de froide exposition des faits et sans pathos. Sa double nationalité franco-allemande y a évidemment contribué.
 
GS montre aussi tout le travail qui a été fait en Allemagne pour faire comprendre l'erreur nazie, erreur qui a conduit, pas à pas, aux actes immondes bien connus. Il ne suffit pas de condamner les hommes, même si c'est indispensable, mais il faut aussi convaincre le peuple de l'impasse où il s'était engagé et lui montrer le vide et le caractère inhumain de ce qu'il avait accepté, voire déifié. L'Allemagne a fait un travail de mémoire considérable, à l'Ouest surtout, fondé sur la raison et non sur la passion moralisatrice. On ne peut pas dire la même chose du reste de l'Europe et l'auteur est convaincue que cette lacune n'est pas sans rapport avec la montée des mouvements d'extrême droite. Il faut montrer au peuple que son apathie, son désengagement politique fait le lit des extrêmes. Difficile... Ne vivons-nous pas quelque chose d'analogue avec un Islam totalitaire criminel, dévoyé et prosélyte, qui se nourrit de la même passivité populaire ? Et si la démocratie se limite à n'être que le reflet de l'opinion, sans expliquer inlassablement l'impasse pour la faire changer, je crains que nous soyons condamnés à danser à nouveau sur les pavés de l'enfer. Certes, le droit reprend un jour ou l'autre le dessus, mais à quel prix ? Fallait-il raser Dresde ?
 
Si vous pensez, comme moi, que la seule chance de l'Europe actuelle, obèse, dispersée et mal aimée, est que l'Allemagne et la France en dessinent un nouveau contour, alors précipitez-vous sur ce livre. Outre la leçon politique qu'il nous donne, c'est un rappel par quelqu'un qui l'a vécue, de l'histoire contemporaine de notre grand voisin qui a sans doute perdu plus que nous lors de la dernière guerre et que nous connaissons insuffisamment. Et, au passage, c'est aussi une source d'informations historiques précieuses sur les autres pays d'Europe dont la France, classée, pour sa plus grande impunité, au rang des "vainqueurs". Un livre essentiel que nous devons lire sans attendre !
 
Ein wesentliches Buch, das wir lesen sollen, ohne zu warten!
 
Flammarion 2017, 350 pages
 
 Je vous propose des vidéos rediffusées par Youtube, où Géraldine Schwarz intervient autour de son livre :