ormesson egares
 
  Ce cahier de méditation tient beaucoup de propos justes et agréables à entendre, sans affirmer quoi que ce soit. Pense-t-il vraiment répondre aux questions que, paraît-il, les hommes se posent sur les "grandes" énigmes de la vie, ce qui est son but déclaré ? Je n'en suis pas certain. C'est plutôt un ensemble de propositions hédonistes sur la vie venant d'un homme curieux, impatient de savoir, conscient de sa fin à venir et d'ailleurs récemment arrivée. C'est un livre qui nous rappelle que notre plaisir d'exister procède pour partie d'un désir de connaissance, ingrédient constitutif de notre sagesse et non d'une extension de notre avoir ou de notre ego. Rappel utile, non ?
 
 
Pour que mes propos soient compris, peut-être convient-il de préciser que j'attache autant d'importance aux profondes questions sur le pourquoi de notre présence au monde et sur notre destin après notre mort qu'à mes premières chaussettes. Ces questions sur le "je" sont pour moi vaines et les réponses relèvent souvent du jeu de mots. Nous sommes une combinaison provisoire d'atomes qui obéit aux lois de notre monde, créée par un concours de circonstances et qui se défait avec le temps sans laisser d'autre trace que ses constituants épars que l'on appelle parfois poussières. L'âme ? Un mot pratique pour désigner une partie  sans existence physique de nos caractéristiques et dont le contenu varie avec ceux qui en parlent. Et pour être tout à fait précis, le ou les dieux, censés assurer la cohérence de tout cela, sont à mes yeux des inventions des hommes qui ont souffert d'avoir permis à certains d'entre eux d'en faire une source de pouvoir et de revenu.
 
Ainsi, contrairement au titre du livre de Jean d'O, je ne me sens pas "égaré". Même si j'apprécie son "guide". Car il dit avec intelligence et sensibilité ce que nous disons tous, moins bien que lui, face au monde. Il a choisi quelques mots (l'étonnement, la disparition, les nombres, etc.) sur lesquels il pose en une ou deux pages les réflexions qu'ils lui inspirent et les concepts qu'il renferment. Au fond, ces réflexions, dont je partage et apprécie souvent le contenu, ne me semblent pas répondre à un quelconque égarement synonyme d'angoisse, mais plus simplement aux questions que nous nous posons sur notre nature et nos limites. Les réponses possibles sont et resteront précisément incomplètes, comme une servitude constitutive de cette nature et de ces limites. Car, au-delà des deux "grandes" questions évoquées plus haut, il y en a des milliers d'autres, dont seulement quelques-unes sont abordées dans le livre. Le temps, c'est quoi ? ou le bonheur, ou l'histoire, ou le désir, etc. ? Des mots aux définitions floues qui tendent à exprimer un ressenti, mais où les philosophies et les religions ont souvent ouvert l'espace de confusion mieux qu'elles ne l'ont cerné.
 
Les seuls apports durables au traitement de ces questions ont été fournis par la méthodologie scientifique, là où elle pouvait le faire, c'est-à-dire assez rarement et sans prétention non plus à une réponse complète, ce qui lui a d'ailleurs permis d'avancer. Jean d'O le sait, car on constate sa réelle culture scientifique à la lecture de son livre. Mais, quelles que soient les beautés et la grandeur de certaines de ces réponses, il est bien clair que notre monde échappe et continuera à échapper à une vision complète. Il serait impensable que la partie que nous sommes puisse imaginer le tout, n'est-ce pas ? Laissons cette illusion aux zélateurs des religions et des idéologies.
 
Alors rêvons avec l'auteur à essayer de mieux percevoir, ici et maintenant, ce que peut être la justice, le bonheur, la vérité ou la vie par exemple, en tentant d'en faire notre miel pour réussir en nous et autour de nous ce qu'on appelle notre existence. Une réponse globale et convaincante n'est pas pour demain et il nous reste toujours assez peu à vivre. Essayons d'abord de trouver la paix. Et laissons ce livre à portée de main pour, de temps en temps, y revenir.
 
Gallimard (2016), 120 pages