bapteste entrelaces
 
Nous avons appris que nos gènes assument notre hérédité et donc notre évolution. Comme c'est le cas pour toute loi scientifique, cela est juste dans des limites précises, mais se révèle incomplet pour expliquer certaines observations. Voilà ce que ce livre va essayer de nous faire saisir, en montrant l'incroyable multitude de facteurs entrelacés capables d'agir sur ces gènes et leur expression et les mécanismes qui sont impliqués. De plus, cet essai nous initie aux "réseaux", voie d'approche de la réalité qui semble extrêmement féconde et envahit tous les domaines de notre savoir, bien au-delà de la biologie évolutive...
 
 Le livre est d'abord un excellent outil de mise à jour de nos connaissances sur la génétique, qui a considérablement évolué ces dernières années. L'auteur en profite pour montrer progressivement que l'analyse courante (lignées et embranchements) est incomplète et ne prend pas en compte des phénomènes bien établis maintenant, comme la multiplicité des modes d'expression des gènes en protéines, les recombinaisons en réseau des protéines issues des gènes, l'action coopérative de gènes doubles, la rétroaction des protéines sur les modes d'expression des gènes, etc. On comprend bien comment tout cela interagit en réseau, transversalement, non linéairement et que c'est dans la compréhension de cette complexité que se situent les progrès à venir du savoir.
 
 Cette idée de collaboration rétroactive en réseau est très bien représentée par l'exemple donné page 120 sur les "biofilms" et ajoute à des mécanismes internes à la cellule, d'autres, externes, comme l'effet de l'environnement. Des cellules identiques se partagent les fonctions pour former ce film, qui dépend ainsi des interactions entre cellules à l'intérieur du réseau qu'elles forment, mais aussi des réactions qu'elles manifestent collectivement en face d'un changement de l'environnement. Un autre exemple, évoqué ailleurs, est celui d'une équipe de football dont les actions collectives expriment un niveau d'organisation d'ensemble, en réseau précisément. Bien entendu, chaque acteur a son rôle, mais d'autres facteurs agissent : la passe a-t-elle été bien faite, comment souffle le vent, l'arbitre a-t-il le dos tourné, etc. ?
 
 Ainsi, pour revenir à l'évolution, il est essentiel de comprendre qu'elle ne se situe pas exclusivement dans les objets génétiques, mais aussi dans leurs liens, leurs modes d'interactions, qui  eux aussi évoluent et  conditionnent l'être au cœur de son environnement. Peut-être est-ce cela qui a permis en partie au même être biologique, formé de composants identiques, de passer de la vie marine à la vie aérienne en faisant une utilisation différente de ses composants ?
 Le livre insiste aussi beaucoup sur les "symbioses", formes spéciales de réseaux. Et particulièrement sur le "microbiote intestinal" de l'homme, masse de 4 kg de cellules non humaines qui collaborent à notre vie et sans qui nous ne serions pas. Cela montre, au passage, combien il est approximatif d'étudier un homme défini par son enveloppe cellulaire, stérile, isolé, quand on sait que, sans ses colonies bactériennes, il ne vivrait pas ! Le livre montre aussi que notre cellule de base "eucaryote" est une composition partiellement physique de molécules (dont l'assemblage n'a rien de linéaire) et de processus symbiotiques avec des bactéries, encore parfaitement visibles au microscope comme les mitochondries, et sans lesquels l'homme ne se serait pas construit. 
 
Il évoque également des dépendances entre cellules si fortes que ces cellules ne sauraient vivre sans les autres et deviennent ainsi impossibles à élever seules en laboratoire ! Tout cela permet enfin de penser qu'il n'est plus justifié de bannir de l'hérédité certaines influences de l'environnement, puisque des mécanismes le permettent. Sujet sensible...
 
 Ce qui, au fond, est ici essentiel est la mise en évidence que la notion de lutte en compétition face à l'environnement, dogme du darwinisme classique, est un aspect seulement de l'évolution. Dans l'intimité cellulaire des phénomènes collaboratifs, de complémentarité, d'assistance, mais aussi de lutte sont en œuvre, à la fois avec des objets génétiquement humains, mais aussi avec d'autres qui ne le sont pas et avec l'environnement. L'état global de ces interactions définit ce que nous sommes. Son évolution est aussi la nôtre. Et là, des portes nouvelles s'ouvrent, qui vont conditionner nos méthodes de travail et vont refaçonner nos lois de l'évolution. Passionnant, n'est-ce pas ? Un livre parfois un peu difficile à suivre, qui requiert de l'attention, mais qui récompensera ceux qui auront eu assez de persévérance.
 
Belin 2017 - 360 pages