zweig antoinette
 
SZ (1881-1942) sait écrire, et cette biographie soignée, écrite en 1932, prouve encore une fois son talent. Au delà, d'ailleurs, de la vie de la reine, c'est un aspect de la révolution française qui est présenté ; et c'est certainement un des côtés les plus séduisants de ce livre. Notons au passage le superbe livre "Le monde d'hier", sur l'histoire récente de l'Autriche.

Mêlé au travail historique qui paraît remarquable, le drame (romancé ?) de cette femme nous donne envie d'avancer dans le récit, bien qu'on en connaisse la fin depuis les bancs de l'école. Qu'elle fut une écervelée, dépensière et inculte est indiscutable. Elle sut en revanche à la fin de sa vie, lorsqu'elle ne maîtrisait plus son destin, retrouver une certaine dignité. SZ exploite avec dextérité cette rédemption. Il apporte aussi tout au long du livre des faits (la nullité politique de M. A. par exemple), il décrit des situations (la cour, les relations de M. A. et de ses proches, la pagaille révolutionnaire, etc..) tous passionnants et qui aident à mieux comprendre cette période de transition. Reconnaissons que le portrait de Louis XVI, indécis et impuissant, digne successeur du No XV (et du XIV qui avait ruiné la France), fait penser que l'on arrivait à une impasse où M. A. ne déparait pas son environnement !

Il est fascinant en particulier de voir cette révolution, porteuse de vérités sociales nouvelles puissantes, donner si souvent l'image d'une curée des médiocres. Il fallait sans doute l'un et l'autre pour que l'histoire passe. Il n'est pas moins fascinant de suivre M. A., jouisseuse et séduisante, indigne de son rang quand elle en avait un, retrouver un peu de dignité lorsqu'elle devient impuissante. Quel dommage qui elle n'ait pas su "devenir elle-même" plus tôt, ni qu'elle n'ait rien compris à la lame de fond qui allait l'emporter. Ses actes furent toujours à sa charge, jusqu'à la trahison, livrant à l'ennemi les plans militaires français.

Et même si elle fut jugée par une caricature de justice, sa tête ne valait de toute façon pas très cher. Et elle n'a pas eu l'opportunité de sauver son image en allant écraser sa nullité sur les piles du souterrain du Pont de l'Alma, comme une autre nullité royale, aussi indigne qu'elle de son rang.

SZ, dont le talent est immense, réussit à nous toucher par le tableau émouvant qu'il fait des derniers moments de M. A.. C'est la femme qui là est en cause et son humanité bafouée est certes touchante. De reine, en revanche, il n'y en a jamais eu.

Un très bon livre qui nous incite encore une fois à faire soigneusement la différence entre ce que sont les êtres et ce qu'ils font. On peut éprouver de la sympathie pour M. A. et son épreuve et juger néanmoins que ses actes, dont elle a été responsable, méritent la condamnation. Un excellent livre en tous cas.
 
 
Editions Grasset , Les cahiers rouges (2002) - 510 pages