zweig sommeil
 
 
Je profite de cette fiche pour dire mon très grand respect pour l'oeuvre de Stefan Zweig. Ici encore, au cours de quatre nouvelles, son talent s'exprime sur un sujet qui le révulsait : la guerre de 14-18 et ses effets destructifs directs, mais surtout indirects sur la société et sur les hommes. Quatre récits qui ont chacun leur thème, la perte de la paix de l'esprit et donc du sommeil, l'exil radical qui peut conduire au suicide, la dégradation de l'homme en machine à obéir et à tuer, la banalisation de l'inacceptable. Quatre nouvelles lourdes de l'émotion d'un homme profondément troublé et qui confient à son talent supérieur le soin de nous faire partager cet émoi.
 
SZ avait, comme chacun, ses contradictions. Il souffrait de tout ce que la guerre détruit, mais il exprimait en même temps son contentement devant les victoires des armées. Peut-être espérait-il ainsi que cela hâtait la fin des hostilités et de leurs terribles conséquences humaines ? Il n'avait certes jamais connu le front sous l'uniforme. Mais sa position militaire et ses contacts lui permirent certainement d'être parfaitement informé des drames et des horreurs de la guerre. Il combat par la plume ce qu'il réprouve, mais il est conscient de la portée limitée de son arme. Ce qui, dans ses derniers récits, peut apparaître comme du pacifisme et se renforcera avec le temps, marque peut-être son découragement.
 
Les quatre nouvelles ont chacune un thème qui évoque une face du mal que répand la guerre. La première, Le monde sans sommeil, fait en une dizaine de pages le portrait d'un monde où le corps et la pensée, bouleversés physiquement et intellectuellement par la guerre, sont saisis d'une sorte d'acouphène généralisé qui leur ôte toute chance de repos. SZ s'y révèle un magnifique conteur, évocateur d'images, de situations, de sons et de pensées qui nous laissent bien peu de chances de ne pas partager son angoisse profonde. Les autres nouvelles sont de la même qualité sur des thèmes différents.

Je ne crois pas beaucoup au pacifisme de SZ. Il connaissait trop bien les ressorts humains pour se livrer à cette utopie et refuser ainsi de voir la bête qui, heureusement parfois, reste tapie au fond de notre comportement. Il eût été trop simple et un peu puéril de prendre le costume du pacifiste. Cela n'aurait pas été digne de sa perspicacité. Fatigue, usure, peut-être. Un choix intellectuel raisonné, j'en doute.
 
Quoi qu'il en soit, ce petit livre, qui rassemble des productions diverses de SZ sur le thème des souffrances de la guerre, est d'un niveau équivalent à celui de ses meilleures oeuvres, la légèreté en moins, compte tenu du sujet traité. Peut-être, en revanche, sa sensibilité et son humanité s'y expriment-elles avec plus d'intensité qu'ailleurs. Un petit livre pour un grand moment de lecture. 
 
Petite bibliothèque Payot No949, 175 pages