rushdie golden
 
Quel feu d'artifice ! Quelle imagination ! La forme de ce roman est d'une virtuosité qui éblouit, au risque de perdre un peu le lecteur. Et pourtant, je n'ai à aucun moment senti une empathie quelconque vis-à-vis des personnages, marionnettes du montreur se fauves qu'est Salman Rushdie. Nous sommes conviés à une sorte de "Marche de Radetzki" d'une famille que l'on rêve de ne jamais rencontrer et peut-être en parallèle de celle d'une Amérique qui s'enfonce dans la vulgarité, dans l'oubli de ses valeurs et qui perd sa respectabilité. De cela, SR souffre vivement en observateur distant, mais impliqué. Le livre reste cependant léger, pétillant même, mais sans réelle profondeur, au contraire de la vraie "Marche de Radetzki". Les acteurs de ce roman noir sont bien des fauves rares qui, pour moi, relèvent du cinéma ou d'un jeu vidéo, une écume que le temps disperse.
 
D'ailleurs, est-ce vraiment un roman ? Oui, sans doute par sa construction, par une intrigue qui va de A à B inéluctablement. C'est aussi le carnet de bord d'un réalisateur de film qui bâtit son scénario, prétexte à un recul bien nécessaire face à une histoire folle. Mais c'est surtout un bloc-notes de l'auteur qui y fait mille remarques sur la vie, sur les USA, sur New York. C'est incontestablement là que réside son charme réel. Car, qui s'intéresse aux personnages excessifs et détraqués dont nous est conté le triste destin ? On ne peut que souhaiter ne jamais rencontrer leurs équivalents réels. 
 
On sent, en revanche, l'immense déception de SR devant l'élection du "Joker aux cheveux teints" et son support populaire qui traduisent un désenchantement profond des USA pour ses valeurs traditionnelles de démocratie et de liberté qui ont longtemps été un modèle pour le reste du monde civilisé. SR en souffre, lui qui y a trouvé refuge, au moins intellectuel, et qui y avait mis sa confiance. Mille remarques, faites au cours de ce texte éclaté, traduisent cette blessure profonde que ne compense pas l'espoir de voir les choses changer à terme visible. Mais comme le disait François Truffaut, cité par SR, "La vie a plus d'imagination que nous".
 
Le livre se lit assez facilement, en dépit de son style pointilliste, composé d'incidentes qui ne se raccordent pas toujours. Oui, on se sent parfois plus près d'un journal que d'un roman. Mais l'art de SR est toujours là, qui nous entraîne sans faiblesse vers une fin pas vraiment surprenante. Une agréable lecture.
 
Actes Sud (2018), 415 pages