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Voilà, j'arrête à la page 446. Je descends du tapis roulant linéaire, monotone, mais subtilement agité du récit de la vie de Ferguson. Thème et variations, certes. Encore faut-il que la énième variation soit une découverte, riche, construite comme une nouvelle révélation. Ce n'est pas le cas et je m'ennuie. Les longues méditations psychologiques m'endorment. Et pourtant, c'est un bon roman, écrit par un maître que j'ai quand même accompagné pendant 446 pages sur 1020 (sic). Sans doute ne suis-je pas un bon lecteur de romans...
 
Ferguson est un jeune américain des années 60 et c'est à la fois sa vie et l'histoire des USA de cette époque qui sont l'objet du roman. Non l'Histoire des USA, mais la petite, la quotidienne, celle qui fait préférer une Chevrolet à une Studebaker. Pour avoir vécu aux USA à la fin des années 60, j'apprécie ce récit aux couleurs sépia et je retrouve là le parfum d'espoir et de liberté qui imprégnait alors l'Amérique. Qu'en ont-ils fait ? C'est une autre histoire.
 
Alors intervient le Grand Écrivain qui veut, d'une patte artistique inédite, recréer la forme du roman classique. Il compose alors une uchronie cubiste où notre malheureux Ferguson va subir plusieurs vies (4, 3, 2, 1) toutes crédibles et dont chacune aurait pu constituer la matière d'un roman. Il meurt, vit, aime, souffre, jouit de mille façons, éventuellement contradictoires d'une variation à l'autre, fournissant au pauvre lecteur ébloui une série de perspectives intriquées sur le destin du héros. Amusant, mais à mon avis ratant sa cible.
 
En effet, croire à un personnage est un peu se mettre dans sa peau et partager son destin. Est-ce encore possible quand il vous échappe ainsi ? Pourquoi partager un sort que les 100 pages suivantes contrediront et réduiront à ce qu'il est vraiment, un caprice de Grand Écrivain, son pantin ? Vous y aviez cru ? On vous a roulé, c'était un conte. La distance s'installe et pour ma part s'accompagne d'un ennui croissant. Alors, mauvais lecteur, je descends à la station suivante, tout en vous souhaitant un excellent voyage, dont je ne manquerai pas d'être un peu jaloux. 
 
 Actes Sud (2017), 1020 pages