servent guerre
 
L'état de paix n'est pas le plus naturel ni le plus probable de notre espèce, même si nous bénéficions depuis plus de cinquante ans d'un calme relatif, comme le montre ce livre. Les raisons de ce calme en revanche ne sont pas abordées ici. Or, le cœur de cet essai est précisément l'analyse, souvent fine et documentée, des forces en ébullition dans le monde et susceptibles de modifier cet état de calme. Elles sont en effet nombreuses, multiformes et sortent du cadre conventionnel de la guerre entre Etats. Mais comment pourrions-nous mesurer leur impact et définir des priorités quand les causes de cette stabilité ne sont pas identifiées ? Et comment faire le tour critique des stratégies de défense face à ces risques ? Quelles alliances, quelles armes, quelle armée, quelle diplomatie, quelle politique industrielle, quelle éducation sauront nous rendre plus forts et nous protéger ? Je reste sur ma faim ; sans doute attendais-je trop.
 
La première partie de ce livre montre une dégradation de l'appétit des hommes à vivre ensemble, ce que PS nomme une envie de barbarie. Il constate un retour au "clan" partout dans le monde, associé la plupart du temps à des rejets violents de l'autre. L'islam en est un exemple : en terre d'Islam pas de place pour une autre foi. Quant à la définition de ce qu'est la foi, laissons les sunnites massacrer les chiites, ou l'inverse, pour le savoir. Mais, même si le Moyen-Orient est en ébullition, comme le livre le montre avec précision, il n'est pas seul. Quelle nation aujourd'hui n'est pas mise à mal par cette recherche d'identité ? L'Espagne et sa Catalogne, la Pologne, la Hongrie, La France et ses rêves jaunes, la Grande-Bretagne qui ne supporte plus l'Europe, ou les USA déchirés par un chef de clan qui fait fi de l'intérêt général ? Sans oublier l'Asie, partiellement infectée par des rêves de pureté islamique, comme l'Indonésie, la Chine, l'Inde ou la Birmanie, par exemple. La folie clanique de la race ou du prolétaire qui avait pourri l'Europe et la Chine du 20e siècle ne serait-elle pas en train de frapper le reste du monde ?
 
La seconde partie montre qu'une réponse courante devant ces craintes est le recours à des "tyrans", même si, comme le dit l'auteur, certains veulent en découdre et d'autres recoudre. Et toujours, ou presque, ces hommes forts sont plébiscités. Mais, comme le remarque aussi PS à juste titre, ces situations sont souvent associées à une instabilité d'alliances qui rend la prévision difficile. Qui pourrait par exemple prévoir aujourd'hui ce que deviendra le trio Turquie, OTAN, USA ? Et qui ne pourrait craindre que le rejet américain de l'accord avec l'Iran conduise rapidement ce dernier à se doter d'une force nucléaire ?
 
La dernière partie est la réponse à ces menaces proposée par l'auteur. Pour la résumer, sans doute outrageusement, la proposition est de faire de l'Europe une véritable puissance, économique, diplomatique et militaire. Les arguments pour cette solution (une révolution par rapport à la situation actuelle !) sont certes recevables. Pour autant et au vu de ce qui a été accompli  et surtout de ce qui a été manqué en 50 ans, je ne crois pas un instant que cette solution ait la moindre chance d'aboutir. Hélas, sans doute... De plus, l'Euro a été un carcan qui a gravement contribué à la désindustrialisation de l'Europe, en particulier France et Italie et a fait exploser la dette de ces pays. Quant à l'Allemagne, sa richesse repose encore sur l'industrie du siècle passé. Cela ne durera pas éternellement. Or sans puissance économique, le reste est un rêve... Quant à attendre d'une Europe sans cohérence vis-à-vis de la politique mondiale une capacité d'action militaire commune, c'est un déni de réalité ! Il est audacieux et sans doute trompeur d'espérer, même si c'est un beau rêve, que le monde soit autre chose que ce que l'histoire l'a fait.
 
Robert Laffont 2018 - 373 pages