"Il n'existe qu'une langue pour exprimer des vérités absolues : la langue de bois"
Fontane écrit ce livre en 1898, l'année de sa mort. Il écrit là un grand roman qui nous étonne et nous charme encore.
Le style d'abord ; de longue conversations, parfois brillantes, parfois intimes nous prennent peu à peu au jeu des personnages. On les aime plus ou moins, on les comprend plus ou moins, mais on souhaite connaître leur destin. On a parfois un peu envie de leur répondre, de les interroger, de les contrer…
Le fond ensuite ; le livre est une longue méditation sur les rapports que les hommes établissent entre eux, tiraillés qu'ils sont entre leur savoir, leur nature et l'image qu'ils se font du monde et des devoirs qu'il y ont. Dialogue éternel que les morales "officielles", religieuses par exemple, ne guidaient déjà plus sans réserve à cette époque. Toujours très actuel, n'est-ce pas ?
Enfin ce livre est une merveilleuse leçon de tempérance, et de chaleur, qu'incarne remarquablement le héros, le "vieux" Stechlin.
Un roman très attachant, plus riche et plus profond qu'il ne semble au premier regard.
Editions Livre de poche - biblio
Averroès est un juriste, docteur de la Loi et philosophe musulman de l'Espagne musulmane, encore riche et tolérante (cela va souvent ensemble…) du XIIème siècle. Il est surtout connu par ses commentaires de la quasi-totalité de l'œuvre d'Aristote.
En quoi le "Discours décisif" nous concerne-t-il encore ? D'abord par ce qu'il prouve par son existence que cette époque faisait preuve d'une ouverture philosophique supérieure à ce que nous croyons souvent en savoir. Mais surtout parce qu'il aborde et traite deux thèmes encore sensibles aujourd'hui (voir S. J. Gould : "Et Dieu dit…").
Le premier est celui de la place du philosophe face au théologien. Et la conclusion est formelle : la révélation exige que l'homme ne se contente pas d'agir selon la Loi, mais que doté par Dieu de raison il en use pour comprendre le monde, s'il en est capable. Notons que philosopher à cette époque couvre toutes les activités d'investigation rationnelle du monde.
Le second, à mes yeux le plus important, est que l'univers étant unique, il ne peut pas y avoir contradiction entre révélation et savoir. Et donc si une telle contradiction apparaît, c'est que l'interprétation de la Loi est erronée et doit être révisée. C'est en fait la reconnaissance d'un domaine de la pensée humaine distinct et indépendant de la révélation. On sait combien cette indépendance fut bafouée par le fanatisme chrétien qui devait suivre, même si (est-ce ironique ?) le XVIIème siècle fut appelé siècle de la raison.
Ce livre essentiel de la civilisation musulmane du XIIème siècle, germe d'une pensée libre et ouverte, précurseur de l'humanisme devrait, me semble-t-il faire de nos jours l'objet d'une relecture attentive.
Ce livre est le récit du combat que mène et perd un écrivain de plus de cinquante ans, célèbre et noble. Ce combat, qu'il identifie fort bien en lui trouvant de solides références mythologiques grecques, est celui d'un homme qui refuse les forces dionysiaques qu'il ressent en lui lorsqu'il tombe sous le charme d'un adolescent du même sexe que lui.
Cet homme a conduit sa vie sous l'empire apollinien de l'ordre et de la raison. Il en a tiré gloire, anoblissement et respect général. Il est ainsi totalement désarmé pour faire face à cet autre aspect de lui-même qu'il a toujours étouffé et sombre dans le délire et l'autodestruction.
Ce récit est le combat de Thomas Mann contre ce qu'il refuse en lui. Sa description des rites dionysiens (p.97/98) est une caricature que l'on pourrait croire inspirée par un croyant fondamentaliste. Au lieu d'y voir une part de soi à maîtriser, il y voit "luxure, frénésie et déchéance" imposée par le "Dieu étranger", Dionysos, alias une espèce de Satan ! Dans de telles dispositions d'esprit la chute est proche, on pourrait presque dire souhaitée, tant elle paraît insurmontable.
Autant cette éthique d'aveuglement me semble une erreur et une impasse, autant le livre est remarquablement écrit et construit.
Editions Fayard - Le livre de poche
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