legendre dominium
 
Il s'agit là de notes de réflexion, plus ou moins restructurée, concernant un film dont le scénario avait été établi en proche collaboration avec l'auteur en 2007. L'idée directrice mérite notre attention pour les conséquences que son adoption entraîne : nous avons substitué à la transcendance du ou des dieux celle de l'efficacité économique. Absurde, pensez-vous ? Attendez un peu d'y avoir réfléchi un instant ; il existe de troublants parallèles.
 
D'abord et cette réflexion est de moi, les dieux nous manquent et nous n'en finissons pas de faire leur deuil. Les sociétés développées perdent toutes leur respect inconditionnel aux préceptes venus du ciel, mais sentent terriblement le besoin de règles de vies transcendantes, de règles qu'on ne discute pas. Sans elles, une société n'a pas de liant, pas de stabilité et va vers la guerre de tous contre tous. Religio, n'est-ce pas ? Alors quand la procédure mythique des injonctions divines n'a plus la cote, il nous reste à inventer autre chose. Qu'ont été la race ou le prolétaire au 20e siècle, sinon une furie religieuse de substitution ? Hélas, ce n'était pas convaincant et a laissé sur le terrain un nombre considérable de victimes. Il faut donc autre chose, moins toxique...
 
L'idée du livre est que depuis la fin de la dernière utopie du prolétaire, une autre a pris sa place dans l'Olympe et apporte aux hommes la transcendance recherchée. Il s'agit de l'"Efficacité Economique" dans l'espace du "Marché", soutenu par la science et la technique et par son clergé, le "Management". Vous riez ? Mécréants ! Essayez de vous promener où que vous vouliez en proclamant que la science et la technique sont des leurres, que vous vous fichez de la productivité ou que vous êtes inefficace par vocation et que vivre a d'autres buts, vous verrez que serez considéré comme proférant des blasphèmes autrement plus graves que ceux adressés aux religions traditionnelles. Et votre place dans notre monde sera celle des réprouvés. Ou bien même, lisez David Thoreau et mesurez le poids du malaise que cette lecture provoque en vous. Nous sommes tous, en effet, conditionnés par le commandement suprême de la productivité.
 
Et, si l'"Eglise n'a pas de territoire", Le "Marché" n'en a pas non plus. Alors les identités, taisez-vous ! Les particularités sont des entraves à abattre. Globalisons, égalisons, aidés par des flux économiques et financiers sans contraintes et le paradis de l'abondance nous en récompensera. Sans doute après notre mort, gratification des héros. Monsieur Soros ne dit pas autre chose et finance les instruments de cette rectification. En tout cas, cette religion a sa foi, la foi industrielle et sa morale, la "morale de la production", comme l'écrivait Musil. Autant dire qu'elle n'a plus grand-chose à voir avec la morale terrienne ancestrale (et chrétienne), contre laquelle elle se bat. Avec, d'ailleurs du succès. Adieu famille avec ses règles et ses hiérarchies, adieu nations et traditions, adieu toute émanation d'un pouvoir local qui gêne l'accomplissement de la parousie productiviste. L'être humain est seul, drogué de production et de consommation.
 
Voici donc, en gros la thèse soutenue ici. Et, même si les propos parfois ironiques trahissent sa pensée, l'auteur n'analyse pas, ne juge pas, mais constate. Il y a, bien entendu du bon et du mauvais dans cette foi industrielle, chacun peut l'éprouver. Mais en faire la balance est une autre affaire à laquelle peu se risquent, sauf quelques marchands de vent, en général d'extrême quelque chose, qui, comme les promoteurs du Brexit fuiraient s'ils avaient à accomplir leurs utopies. Nous n'avons pas beaucoup avancé, mais cela participe à cette réflexion déjà faite mille fois que les sociétés ont besoin de transcendances pour durer. Les choisir est un art délicat qu'on appelait Politique.
 
Mille et Une Nuits (2007), 96 pages