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S'il est un sujet qui nous concerne tous, même si nous en sommes souvent inconscients, c'est bien celui qu'aborde ce livre, la politique industrielle de la France. Nous constatons aujourd'hui la déchéance industrielle française : 12% du PIB contre 25% en moyenne dans le monde par exemple, vaccins absents, centrale EPR en folie, composants électroniques mendiés aux producteurs, etc. C'est ce choix, qui favorise la consommation à l'investissement, sacralisé par Mitterrand et entretenu depuis, y compris par le Président actuel, qui en est la cause. C'est de cela que parle ce livre écrit par un acteur majeur de notre vie industrielle française, ancien patron de Véolia et d'EDF, qui a vu comment de tels choix ont été pris "en haut" et en rapporte les circonstances. Il nous reste aujourd'hui les discours, en particulier sur l'écologie, cette menace idéologique qui tente de nous achever en participant à son tour à des choix d'investissements aberrants.
 
La France a eu sous de Gaulle et Pompidou, dont l'ambition politique dépassait leurs réélections, une politique persévérante d'investissement et de développement industriels, à bien des égards analogue à celle, plus récente, des grands asiatiques qui dominent le marché actuel. Cela concernait la chimie, l'acier, le nucléaire, le ferroviaire à grande vitesse, l'espace, le traitement des eaux et des déchets et un pied dans l'informatique. De grands ensembles avaient été créés, soutenus par un système bancaire solide et, ne le cachons pas, un peu aux ordres. Ce fut un temps du volontarisme orienté par le souci du bien public, qui a cédé la place au laisser-faire individualiste, délicieusement appelé "libéralisme", excuse apaisante de la paresse gouvernementale qui conduit des esprits français encore inventifs à créer des embryons industriels qui vont éclore dans des matrices étrangères. Absence de politique industrielle, pas de marché financier pour le développement, une fiscalité favorable à la rente et non au risque, une soumission au court terme financier aggravée par la perte de notre indépendance financière avec l'Euro, etc. Mais surtout, une révérence à la consommation divinisée et la distribution sous prétexte égalitariste, au détriment de l'investissement. La messe est dite.
 
L'auteur décrit dans ce livre comment les successeurs de De Gaulle et Pompidou ont géré les "joyaux" industriels qui avaient été créés alors et dont il va sans dire que le climat actuel ne permettrait plus de recréer. Il montre surtout qu'ils n'en ont pas été dignes, et ont agi comme des héritiers nouveaux riches, vendant peu à peu l'héritage. Ceci passe souvent par des éclatements programmés de ces joyaux, étant donné que la somme des morceaux se vend mieux que l'ensemble. Voilà qui résume à peu près la politique industrielle de Mitterrand à Macron. Notons au passage que la perte de la monnaie et la politique de concurrence autodestructive de l'Europe, particulièrement myope, ont conduit d'autres pays à la même déchéance, qui est en fait une dépendance vis-à-vis de ceux qui ont créé et investi. Le livre évoque en particulier le dernier acte de cette non-politique suicidaire, l'éclatement en cours d'EDF appelé 'Hercule'. Tout cela fait peur pour notre avenir.
 
Nul ne détient la vérité, pour la bonne raison qu'elle n'existe guère et doit être recherchée jour après jour tant les conditions de son avènement sont fugaces. Quand une classe politique, telle que l'auteur la décrit, se complaît dans son entre-soi, ce sérail, aveugle aux réalités qui façonnent l'évolution du monde et sans culture scientifique, a bien du mal à imaginer une stratégie autre qu'idéologique et inefficace. L'auteur la qualifie même de "dérisoire". Quant au bradage des joyaux, il permet pour un temps de faire illusion en récupérant quelques ressources à court terme et de s'acheter des électeurs.
 
Outre ces ouvertures sur un problème déterminant de notre avenir, mais dont on parle peu, le livre est aussi un récit passionnant du monde politique qui nous dirige et dont la compétence , vu les résultats, fait question. Il est vrai que sans monnaie propre et sous la tutelle idéologique et contraignante de l'administration européenne, il ne reste guère aux États les moyens d'une telle politique. Dans le contexte européen actuel, jamais le CERN, ni AIRBUS ou ARIANE par exemple, n'auraient pu naître. Et d'ailleurs, depuis que l'Europe existe, rien de notable n'a été fait dans le domaine industriel. La dégradation de notre position industrielle internationale a continué sans répit, sans que nous puissions même maintenir notre compétence, alors qu'une des idées fondatrices de l'Europe avait été justement de renforcer notre position industrielle en s'appuyant sur un marché plus large. Quel échec ! Les rodomontades de la dernière équipe européenne n'y changeront rien. Je me permettrai d'ajouter qu'un jour, l'illusion européenne se révélera.
 
Ce livre est assez facile à lire, même pour un lecteur non spécialiste de ces questions. La brillante carrière de l'auteur est en soi passionnante, bien documentée et est présentée dans un style agréable. Un livre utile !
 
Robert Laffont (2020), 310 pages