"Tout ce que je croyais sur la vie est broyé par la psychiatrie". Cette phrase de l'auteur, peut-être un peu excessive, est un cri du cœur qui résume l'expérience dont elle a souffert en ressentant une perte de son humanité dans son traitement psychiatrique qui la transforme en objet. Peut-être n'est-il pas inutile que l'honnête homme lise ce livre et ainsi n'ignore pas le calvaire des malades psychiques. Car, de fous, nous en sommes environnés et parfois nous le sommes un peu nous-mêmes. C'est une question d'échelle, n'est-ce pas ? Mais, comme le rappelle sans cesse l'auteur, nous restons des humains, embarrassés d'espoirs et de craintes, maladroits dans nos vies, dangereux parfois par notre ivresse de pouvoir ou d'absolu et nos sapiences pourries. Alors, restons humains, attentifs, empathiques.

 

motte250528cMariée et mère, l'auteur a subi trois enfermements sous contrainte, pour une pathologie maniaco-dépressive, également nommée bipolarité. Pour ceux qui l'ignoreraient, cette pathologie se traduit par des phases d'exaltation dites maniaques, suivies d'une dépression intense et durable. Son couple a été brisé, en partie en raison de cette situation, sa famille a souffert, ses enfants ont mené une vie difficile. Cette responsabilité s'ajoute au drame qu'elle a supporté de se voir éclatée entre ce qu'elle pense conserver comme être humain normal et sa "Guerrière", la maladie, qui, en elle, détruit et pervertit son esprit et ses actes, la laissant en dépression en fin de crise d'exaltation.

Ce qui m'a fait comprendre le paradoxe apparent de cette situation est le fait que cette femme, qui participait à La Grande Librairie du 28 mai 2025 (lien ici), belle, féminine, enjouée, intelligente et sure d'elle, avait vécu l'enfer, des enfers plutôt, et était probablement consciente qu'une rechute n'était pas à exclure. Qui pourrait l'imaginer en la croisant ? Elle avait su mettre à distance cette "Guerrière" qui lui fait tant de mal et en parler sans effroi ni haine. Car si elle a souffert de sa maladie, elle a aussi beaucoup souffert de ses soignants qui, à ses yeux, avaient cessé de voir en elle un humain pour la réduire à une pathologie. Elle en a tiré la leçon qu'elle devait, avec ses moyens, tout mettre en œuvre pour corriger cette déshumanisation des soins, ce qu'elle fait effectivement dans sa nouvelle vie.

L'enfermement d'un malade exalté est en effet un acte de violence, dont la nécessité et le déroulement posent question. Cette domination du soignant peut le conduire, dans l'urgence et par routine, à oublier qu'il a un être humain en face de lui, dominé certes par sa maladie, mais qui reste un être qui souffre et attend une aide, une consolation qu'il ne reçoit pas. Le traitement se réduit alors à des prescriptions médicales et des contraintes physiques, faisant fi de la sensibilité du malade, de sa souffrance inquiète, de sa pudeur. Sans doute cette situation dépend des soignants et des lieux de soins et peut-être aussi de la maladie. On ne peut que faire le rapport avec la situation que rencontrent certains vieillards en EHPAD, que certains soignants traitent comme des objets et qui, ce qui est pire encore qu'en psychiatrie, n'ont d'autre issue que la mort et le savent.

Un très beau livre, qui ouvre une fenêtre sur un possible aspect de nos vies et de celles des autres, que nous ignorons la plupart du temps, si difficile à concevoir, à tolérer, à accompagner quand cela est nécessaire. Et à prendre la mesure de ce que ressentent ceux qui souffrent et dont les soignants oublient parfois qu'ils traitent des humains et non seulement des maladies. Un témoignage qui nous concerne tous.

Stock (2025), 250 pages