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"Entretiens sur la musique" avec Jean-Yves Clément
 
Parler de la musique, même philosophiquement, n'est pas essentiel. L'important, l'urgent, est d'en écouter et d'en écouter vraiment, longuement, intensément, sans autre activité. La contempler et chercher en elle ce qui est matière à résonance en nous. Alors, avec le temps, se forme une relation à la musique privée, profondément inégalitaire, difficile à partager, ne relevant ni de l'universel ni du rationnel. Ce livre est une analyse possible de cette relation, analyse intelligente et documentée.
 
L'auteur montre d'abord comment la musique a trouvé sa place chez lui. Issu d'un milieu modeste, la musique n'était pas la première priorité de son cercle familial et il a donc fallu des hasards favorables pour y accéder. Car l'école aurait plutôt contribué au dégoût de cet art... La curiosité universelle de l'auteur le poussera à ses premières découvertes et expériences, d'ailleurs plutôt éclectiques.
 
Il fait ensuite part d'une classification qui lui est propre, et qui ne manque pas de pertinence. Après la prééminence de styles chargés, charnels, vivants, les arts, écrit-il, ont tendu vers des styles où l'expression doit être contenue, voire minimaliste. C'est assez bien vu et s'applique en effet à la musique, Berlioz incarnant le premier style et Debussy le second. L'un comme l'autre eut ses successeurs avec, aujourd'hui, un retour en grâce du premier style, plus lyrique, plus expressif, loin de l'intellectualisme sériel. Cette analyse vaut d'ailleurs quelques pages savoureuses sur la musicologie et les musicologues...
 
Un bref chapitre précise la position de MO sur les élucubrations autour du "sens" de la musique. Matérialiste, il précise qu'elle n'en a ni plus ni moins qu'un coucher de soleil ou les chutes du Niagara. Le sens éventuel est notre création face à la contemplation. Il précise : "Elle ne se dit pas, elle ne dit rien, elle est l'une des modalités du monde". N'est-ce pas un peu déplacer la question au rapport entre le compositeur et sa création ?
 
Ce livre est aussi l'occasion pour l'auteur de faire un point sur l'hédonisme, qui est, peut-on dire, une harmonie du corps avec le monde où il vit. Il voit dans son discrédit la marque des spiritualismes de toutes natures et leur mensonge par omission. Mais il ajoute que l'hédonisme n'est pas la recherche du plaisir, mais de son usage comme un moyen de s'accorder au monde. Et, ajoute-t-il, cela se forme, s'apprend et il déplore le niveau zéro de l'Education nationale sur ce plan, elle qui reste encore sous la coupe des concepts, des idées et non de l'homme vivant en interaction avec le monde. 
 
Quelques lignes sur Freud qu'il perçoit comme un escroc. MO réduit l'inconscient à une sorte de mémoire, lui faisant perdre ainsi la place quasi transcendante qu'il avait chez Freud. Il insiste aussi sur l'absence de "vérité" en musique, ce qui ne me paraît pas être une découverte... Il montre enfin à quel point la notion de "beau" s'est évanouie avec la révélation nietzschéenne de la mort de Dieu et à quel point la mesure de la beauté d'une oeuvre ne mesure plus grand-chose !
 
Comme toujours chez Onfray, ce livre est plein de fulgurances, de parti-pris, d'affirmations où il nous reste à faire le tri. Il y a matière, compte tenu de la richesse du propos. Et le style coulant, sans pédanterie et qui me semble sincère, crée l'empathie. Il n'en reste pas moins que, comme toujours, notre entrée dans cet art évanescent de la musique verra son succès proportionnel à notre effort, si l'on ne veut pas rester simplement bercés par des émotions fugitives et souvent primaires. Alors, écoute et si possible lecture et pratique et le tour est joué !
 
Autrement (2013), 189 pages