MO fait ici un travail salutaire, qu'apprécieront ceux que l'histoire de la pensée intéresse. Il rappelle qu'à côté de l'idéalisme encore dominant (Platon, les religions, les grands systèmes normatifs), a existé une autre pensée, d'une aussi haute tenue, mais brouillée historiquement et calomniée par cet idéalisme triomphant : la pensée matérialiste et hédoniste de Démocrite, Epicure ou Lucrèce, entre autres.
Nietzche fera la même analyse et manifestera les mêmes choix dans ce domaine que MO, mais avec une note résolument optimiste : il voyait la mort des dieux... MO aimerait bien partager cet espoir, mais il vit à une époque, la nôtre, où cette illusion n'est plus possible.
Sur le fond, on ne peut que se réjouir de voir ici rappeler l'évidence, occultée par une certaine mauvaise foi de la pensée dominante, que les constructions idéalistes et autres arrières-mondes divins ou des lendemains qui chantent sont des utopies dévastatrices. L'Europe, qui s'est suicidée au XXe. siècle, les communismes (qui n'avaient, hélas, rien de matérialismes !) qui se sont effondrés sur eux-mêmes et sur leurs morts, ou le Moyen-Orient en train de le faire sous nos yeux, en sont des avatars effrayants qui devraient nous inciter à rechercher une autre manière de penser et de construire nos vies.
Il faut quand même noter que ce n'est pas sans argument que les idéalismes ont eu et ont encore pour longtemps un tel poids. Ils sont simples conceptuellement, faciles à mettre en oeuvre, manipulables à loisir par les pouvoirs qui en ont toujours fait des outils de puissance. Et ils permettent de penser que si la réalité n'est pas parfaite, quelque part, ailleurs (aussi loin que possible) existent une perfection et une rédemption pour chacun. Facile, non ? En tout cas plus que de choisir à chaque instant sa voie, seul et sans espoir de 'pardon' pour ses erreurs. Il y a d'autres raisons, mais ce n'est guère ici le lieu d'en disserter ... Il aurait été bon que MO aide à comprendre mieux les éléments de cette défaite.
Il n'en reste pas moins que nous avons intérêt à retrouver une certaine familiarité avec cette philosophie matérialiste et hédoniste, également au coeur de notre civilisation, mais occultée, et qui, en dépit de la modestie de ses intentions (jouir de ce que l'on a), possède encore des ressources considérables en matière de conduite de nos vies (l'ataraxie, la culture de l'amitié, la pondération des opinions, etc.). Même si, et ce n'est pas lui faire injure, on ne peut éviter de lui reprocher son caractère lacunaire, en particulier sur son rapport au temps.
Un livre d'ouverture en tout cas, utile et facile à lire.