"La Russie, entre peurs et défis"
Cet essai, paru en 2016, dresse un panorama interne de la Russie et de sa position dans les affaires du monde. Un tel essai est d'une immense utilité, tant nos visions sont entachées d'a priori, voire de préjugés. Peu de pays ont subi les bouleversements que les Russes ont connus et cela nous les rend difficiles à appréhender. De plus, peu ont autant de mal à se faire une place, économique autant que politique dans leur environnement international, où ils restent peu acceptés et solitaires. On aurait du mal à identifier leurs alliés ou même des sympathisants. La Russie est seule et inquiète de son avenir. Ainsi, comprendre certains des ressorts actuels qui impulsent notre grand voisin, sans passion ni filtre idéologique, est précieux et mérite notre attention...
Permettez-moi d'abord une incidente, toute personnelle. J'ai le plus grand respect pour la civilisation russe, qui en sciences, en littérature, en arts comme la peinture ou la musique a été un des piliers de ce qui vaut notre attachement à l'humanité en dépit de ses trous noirs. Sans elle, l'Europe serait moins riche, moins ouverte. La civilisation russe est une variante de la civilisation européenne. Il faut que nous soyons bien inféodés aux USA pour ne pas l'affirmer. L'intermède soviétique fanatique a eu sur nous le même effet de défiance que le nazisme en Allemagne. Ne rejetons pourtant pas le bébé avec l'eau du bain sans avoir au préalable ouvert notre esprit, comme cet essai le permet.
Un espace immense
La Russie dispose d'un espace géographique d'environ 35 fois celui de la France. Gérer cette immensité aux climats contrastés, aux ethnies variées, aux niveaux de développement différents peut faire craindre la tentation séparatiste, en particulier quand les valeurs communes sont rares. De plus l'héritage soviétique et les multiples problèmes non résolus ont rendu inextricable la relation avec l'ex glacis européen, objet des sirènes "occidentales" agressives. Enfin, le dépeuplement massif de certaines régions, une natalité trop faible, l'espérance de vie en baisse et la fuite des cerveaux, tout cela brosse un panorama sombre.
Une économie faible
Cause ou conséquence (je penche pour la cause) l'économie russe est un échec pérenne. Sait-on que le PIB russe est inférieur à celui de l'Italie ? C'est une mesure du réalisme des ambitions que ce pays peut avoir. Aucun des ressorts qui ont transformé la Corée ou la Chine ne sont présents en Russie. Concentration des pouvoirs économiques (la Maison Russie des oligarques), mépris de l'entrepreneur, exaltation de grands programmes centralisés à la soviétique, disparition de l'industrie par incapacité à produire aux normes internationales ni en qualité ni en prix, la Russie n'a pour perspective que ses richesses naturelles aux cours fluctuants. C'est la faiblesse insigne de ce pays. C'est sa condamnation à l'insignifiance s'il ne réagit pas.
Une politique internationale peu cohérente
Sa politique internationale a été jusqu'ici un autre échec. La Russie, par des décisions unilatérales économiques et politiques s'est aliéné les pays d'Europe ex-soviétique, comme l'a été la libération des prix brutale de Eltsine, privant en un jour ces anciens pays de leur marché. Ce dont l'Occident a joué et abusé en trahissant sa parole avec l'extension de l'OTAN vers l'Est. Les Russes ont peur et sous cette emprise prennent de mauvaises décisions en ce qui concerne l'Europe et l'Occident. Sans doute leur intégration au monde asiatique est plus habile (BRICS, OCS, etc.), mais ne font-ils pas figure de monde en déclin au milieu d'un groupe en pleine expansion ? A suivre.
Une politique intérieure fragile
Face à ces problèmes, qu'on peut sans excès qualifier de dramatiques, la Russie bénéficie d'une unité politique personnifiée par Poutine, mais dont on sent bien qu'elle se termine. Aura-t-il mis en place les atouts qui feront une Russie "great again" ? Cette proposition politique et civilisationnelle est-elle attractive ? Peut-on penser, comme elle le prétend, qu'elle est une "autre Europe" rétablie sur ses valeurs profondes et traditionnelles ? Qui peut le croire quand tout repose sur un homme et non sur des institutions solides ? Qui peut croire que l'Eglise orthodoxe, si proche du pouvoir, incarne les valeurs susceptibles de conduire l'avenir, quand, dans les faits elle est un facteur de division inacceptable pour les ethnies non orthodoxes ou par ceux de plus en plus nombreux qui n'y font pas allégeance et qu'elle porte le poids d'un immobilisme inébranlable ? Où sont dans cette proposition les valeurs fédératrices autres que des nostalgies faciles, mais bien peu mobilisatrices pour préparer l'avenir ?
A la lecture de cet essai et nonobstant la résilience historique de ce pays, il me semble que sa faiblesse économique et son ambition disproportionnée font hélas de la Russie un candidat à l'implosion et à la déchirure. Avec tous les dangers que représente un dragon qui meurt, idéaliste et surarmé. L'Europe, si elle n'était pas aussi futile aurait dû jouer un rôle, car sans entente harmonieuse avec la Russie, l'Europe est et restera faible et la Russie isolée continuera d'avoir peur.
Remercions ce livre d'avoir réuni cet assemblage de faits et ces rappels de géographie et d'histoire, si utiles pour notre compréhension du présent. Sa lecture est facile et donne en peu de pages une vision exceptionnelle de notre grand voisin. A recommander sans réserve.
Armand Colin (2016), 240 pages