Je viens de relire ce roman qui parut peu avant le duel mortel de Lermontov et dont le contenu peut être interprété comme un reflet dans un miroir du destin de l'auteur, mort en 1841 à 27 ans. Il m'a semblé qu'il parle un peu au cœur, mais beaucoup plus à l'intelligence, en dépit de son ton, fort romantique. La désillusion de l'auteur, qu'exprime son héros Pietchorine, porte autant sur le monde où il vit que sur lui même qui n'y trouve pas une place honorable. Ce roman touche par l'expression réussie de cette impuissance à se conduire utilement face à une société dont Lermontov pressent l'inefficacité et le manque de sens.

 

L'aristocratie et la haute bourgeoisie russes de l'époque vivaient au centre d'un réseau de comportements et de conventions dont se départir signait une déchéance certaine. Le duel et ses victimes nombreuses en faisaient partie, associés au sens parfois exacerbé de l'honneur, sorte de soin fiévreux de l'image laissée dans le monde après la mort. Mais au-delà de ce rituel dramatique, de nombreux autres corsetaient la société d'alors à un point tel que plus rien de grand ou d'original ne pouvait être entrepris dans ces milieux. Classes sociales fermées, dépenses de prestige insensées, morale terrienne dominante, etc. Tout cela allait rendre difficile la prise en main de la révolution industrielle par les classes supérieures russes et préparait sans doute les révolutions qui allaient suivre.

 

Lermontov, jeune officier, capable de grande bravoure, mais piégé en temps de paix par la vie débilitante et stérile de garnison sentait cela. Il l'exprime bien dans les notes prises par son "héros" la nuit de son duel (page 1096, édition de la Pléiade) : "Je passe en revue tout mon passé et me demande : pourquoi ai-je vécu..." C'était reconnaître que la hiérarchie des valeurs russes de l'époque lui paraissait être une impasse. Cela joua d'ailleurs contre lui par la suite.

 

 Le livre écrit, en plein romantisme, ne manque pas de refléter les mœurs de l'époque, en particulier dans le domaine des relations entre les sexes. Ceci admis, il est de lecture facile et agréable, même pour les vieux sceptiques que nous sommes devenus. Pour ceux qui ont entendu parler de Piatigorsk, Essentuki ou Kislovosdsk, les villes d'eau encore actives du nord Caucase, qu'ils sachent que l'intrigue de ce roman s'y déroule, à l'époque où Lermontov y séjournait.

 

Les quelques photos de ces lieux jointes à cette note, dont celle du monument où se déroula le duel mortel,  ont été prises en 2019 et tentent d'évoquer Lermontov à Piatigorsk et la beauté pittoresque de ces lieux, bien similaire à celle de cet excellent roman.

 

 

 Bibliothèque de la Pléiade, Griboïèdov, Pouchkine, Lermontov. Oeuvres.