ruffin sanglots
 
Ce roman historique veut rappeler, dans un mode léger, sans apitoiement, le prix qu'ont payé les habitants de la Normandie non seulement lors de l'occupation allemande de la dernière guerre, mais aussi lors de la libération par les alliés. Cette dernière a rayé de nombreux villages et villes (Caen dans le roman) de la carte et a apporté chez les civils terreur et dévastation. L'intrigue est celle du destin d'un enfant, Lucien dit Lulu, qui après avoir perdu sa famille et ses amis va, seul, tenter de survivre au milieu de cet effondrement. C'est là que se révèle l'amour de la vie de l'écrivain qui joue, jusqu'à la paillardise, avec les événements qui se succèdent au cours de cette quête de ce qui reste de bonheur à cueillir au cœur du désastre. Non sans égratigner au passage quelques statues !
 
J'ai beaucoup aimé ce rappel, si utile et si peu fréquent, du terrible impôt du sang qui a été payé par les civils de la dernière guerre. Le prix de la victoire ? Peut-être, mais quelle blessure profonde que celle faite par ceux qui viennent vous délivrer du mal, pour vous en infliger un si cruel ! Et que dire au passage des civils d'autres nations broyés par ces conflits et qui n'avaient pas la victoire comme compensation ? Hambourg, Berlin, Dresde et d'autres rasées pour démoraliser Hitler ? Avec quel effet ? Hiroshima et Nagasaki aussi, dont on ne sait pas de combien de jours la destruction a hâté la reddition japonaise. Il faut que notre pensée accompagne, encore aujourd'hui, ces victimes civiles oubliées. Merci à ce roman d'y prendre sa part.
 
Une première partie du roman relate l'enfoncement de Lulu dans le drame. Les allemands, c'était un moment désagréable, mais ils faisaient de la musique pour nous donner de "l'occupation", dit l'auteur ! L'éclosion des collabos fut une fêlure plus grave encore. Mais c'est surtout la destruction américaine qui va bouleverser la vie de Lulu qui perd ses parents et sa presque sœur, Mimi, orpheline que ses parents avaient recueillie et qui sera tuée sous ses yeux. Lulu seul va alors se trouver au fond du trou, sans refuge, sans âme à qui se confier. Même sa famille un peu plus éloignée a payé la libération de sa vie et c'est seul qu'il doit remonter la pente.
 
La seconde partie du roman change de style. Le brio de l'écriture devient spectaculaire. Cette solitude du héros lui permet des audaces de pensée et d'action qu'une vie familiale aurait interdites. Chapardages, petites arnaques, boulots à la limite du légal, etc. Un vrai festival qui entraîne le lecteur dans un tourbillon de fantaisie. Occasion pour l'auteur de lâcher quelques boules puantes sur des hommes ou des institutions infâmes. Le séminaire en prend pour son rang et le garagiste génial et commerçant d'exception aussi !
 
Mais les affaires se corsent quand, avec le passage du temps, notre Lulu découvre les joies de la reproduction, sans avoir de compte à rendre à personne. L'auteur s'amuse, à la limite de la farce de collégien. Jeunes novices avides de formation, veuves encore en âge de rêver, notre héros se baisse et cueille. Et il se venge des turpitudes subies dans sa jeunesse en détachant un bataillon de putes à l'assaut du séminaire où la pédophilie faisait figure de seconde religion ! Ou bien quand... allez, découvrez vous-même cher lecteur. Évasion garantie dans un rythme soutenu.
 
On a un peu l'impression qu'après une première partie dramatique et malgré une écriture sans larmoiement, l'auteur veut purger ces instants graves par un déchaînement de légèreté souriante. Ce roman réussi nous donne à la fois l'occasion de rendre hommage à ces victimes civiles qui ont payé pour notre liberté, et de célébrer notre seule ressource à long terme dans de telles circonstances, la confiance dans la vie, malgré tout. Un très beau livre !
 
LBS Sélection (2021), 380 pages