D'habitude, l'histoire, on l'apprend. Ici, mortecoilles, on la vit, on la sent et ça ne sent pas toujours la rose. Et plus vous ignorerez l'histoire de 1048 à 1087, plus vous lirez ce roman comme un thriller historique dont vous voudrez, toutes affaires cessantes, connaître la fin.
L'histoire est celle de Guillaume de Normandie dit "le Conquérant", qui fit de ce pays un pôle puissant et prospère de notre histoire européenne. Rien ne fut simple, dans ce monde féodal divisé, aux alliances en perpétuel changement. Il ne faut pas oublier qu'à cette époque une information mettait plusieurs semaines pour faire quelques centaines de kilomètres, sans preuve qu'elle était bien arrivée. Ceci, au passage, explique en partie la féodalité, fondée sur des liens de proximité. S'ajoute une intrigue policière autour de livres sulfureux, qui pimente l'action.
Il fallait, pour dépasser cette situation, un homme qui ait le génie des relations humaines, des hommes de confiance, des réseaux d'informateurs, c'est-à-dire une capacité d'extension que peu avaient. Guillaume réussira cela, jusqu'à étendre, à tort ou à raison, sa main au-delà de la Manche. Sa progression et ses revers passagers fascinent tout au long du roman.
N'oublions pas non plus l'avantage climatique apporté par le léger réchauffement qui apportait, dans un monde encore très agricole, une prospérité considérable. Une part de ces surplus de richesses se voient encore sous forme de monastères et cathédrales (le clergé était l'objet de tous les soins...) et la Normandie n'était pas en reste.
Tout cela pourrait sembler bien lointain, sans le style enjoué et vigoureux du roman qui nous fait partager bons et mauvais coups, dans tous les sens du terme. Meurtres, trahisons, vengeances, amours, ne sont pas décrits, mais vécus. Et on y croit.
De plus, l'auteur prend prétexte de ce roman pour nous faire partager ses réflexions sur le pouvoir. Car prendre le pouvoir nécessite un talent, le conserver un autre. Un exemple : faut-il décapiter un traître capturé ou s'en faire un obligé ? Jusqu'où doit aller la diplomatie et avant de céder à la guerre, etc.
Passionnant est aussi l'affrontement entre l'église de Rome et les puissances civiles. L' église est prête à bien des vilenies pour contrôler les hommes, ce qu'elle réussira temporairement en commettant des actes dont nous subissons encore les conséquences, comme les guerres de civilisation qu'ont été les croisades.
Notons au passage que cette église, au contraire des puissants féodaux, possédait l'avantage d'institutions qui, peu à peu prenaient le pas sur le pouvoir discrétionnaire des hommes : nomination codifiée des dignitaires, assemblées, fiscalité, etc.. Ne peut-on pas y voir les germes de ce qui allait être (et reste encore) la spécialité de l'Occident, la démocratie ? Sans pour autant l'absoudre de ses autres turpitudes.
Voici donc le dernier volume d'une superbe saga normande, dont le contenu et le style vigoureux et truculent font une lecture agréable. Alors, quel sera maintenant le nouveau choix de l'auteur ? Attendons.