ruffin celine
 
Une affaire ! Qu'on se le dise : en achetant ce roman, vous en achetez deux. D'une part un très bon roman, sombre sous un équipage coloré et, d'autre part, une réflexion passionnante sur Céline. En bonus, des remarques et des questions sur la vie, comme la liberté et son usage, entre autres. Sans négliger le style enjoué, voire gouailleur de l'auteur qui rend la lecture de tout cela facile et plaisante. Mais le véritable enjeu de l'exercice est de faire partager l'apport de Céline au roman français, en dépit d'un personnage au parfum qu'on ne supporte plus et qui occulte exagérément son talent. Et ça marche !
 
Un professeur de littérature, veuf, qui travaille sur Céline et se prépare à publier sur lui un essai qu'il espère déterminant, va tenter d'apprivoiser en même temps le désir que lui inspire, puis la possession, d'une jolie fille peu farouche. Il croit vite cette attraction réciproque... et nous aussi, d'ailleurs. La suite rendra à chacun son vrai costume, beaucoup plus sombre. Mensonge, désespoir et perversion mènent la danse dont on sait bien qu'elle finira par conduire au pire. L'intrigue est crédible, les personnages touchants. On suit avec impatience leurs tentatives de se construire des destins viables, et même, face à leurs faux-pas, de se les reconstruire.  Les personnages secondaires contribuent également au climat vraisemblable du roman et sont aussi vivants que les deux principaux. Notons enfin de belles descriptions de Calvi que l'auteur connaît bien.
 
Mais, au-delà de cet agréable roman, le livre offre une perspective originale sur l'écrivain Céline. Rien de doctoral ou de péremptoire, mais mille réflexions sur l'apport de son style à la littérature, sur son usage de la liberté de tout dire et de tout faire, sur son pessimisme irréductible, sur son mépris de l'humanité et sur son antisémitisme qui en est un avatar. Et qui, pourtant, fut un génie de l'écriture masqué sous ce personnage haïssable. MR nous en parle non pour nous convaincre par des arguments, mais pour nous aider à aimer son œuvre en y trouvant pas à pas ce qu'elle a de fort et de profondément enraciné dans la réalité. Il est repoussé comme nous tous par l'homme et ses choix, mais il est convaincu de la révolution qu'a été son écriture et il s'efforce de nous y rendre sensibles. Il aura réussi avec moi, car je suis tombé sous le charme de cet entrelacement entre une intrigue de roman, sorte de tranche de vie particulière et la pensée de Céline qui s'y mêle au moyen de citations pertinentes, l'un l'expliquant ou complétant l'autre. Un art subtil porté par l'affection évidente de MR pour le travail littéraire de Céline !
 
Et puis, ici ou là, l'auteur se lâche. Un petit paragraphe vachard sur les politiques, une éructation sur certaines idées creuses, un instant de fascination devant la beauté du monde, tout ce qui fait qu'un livre n'est pas le travail d'un robot, mais d'un écrivain qui a ses passions, son caractère, ses désirs, ses regrets et a le talent de nous les faire partager. Alors, n'hésitez pas. Et puis, je vous l'ai déjà dit : deux livres pour le prix d'un !
 
Chum (2018), 342 pages