Ce livre est une laborieuse méditation sur un fait actuel : la mise au rebut du passé dans nos valeurs, tournées en totalité vers le futur. C'est profondément vrai et cela a des conséquences considérables. Mais pourquoi le dire avec autant de lourdeur, de phrases mal construites et de mots "savants" sans concept qui les soutienne ? Belle marquise, vos beaux yeux...
Ce que constate PS ici est un fait difficile à réfuter. Nous évaluons nos choix à la mesure de leurs conséquences futures, sans prendre en compte leur plus ou moins correcte adéquation à nos traditions, à nos valeurs héritées. L'économisme ambiant y porte, certes, mais cette attitude a des fondements bien plus profonds. "Du passé, faisons table rase" disaient les zélateurs des lendemains qui chantent et leurs épigones parlaient de "révolution permanente". Ils en sont morts et ont souvent fait autour d'eux un champ de ruine. Le 20e siècle a été celui de la rupture, du hiatus, dit PS. Les nazis, l'URSS, Mao, Castro, etc. Mais pas seulement le 20e siècle. Déjà, la Révolution française rejetait les lois du passé, dominées par le totalitarisme religieux et la royauté à sa solde, mais aussi par les lois issues de la civilisation terrienne, que l'industrie allait mettre à mal. Rome aussi avait fait table rase de ses valeurs en se soumettant à une religion moyen-orientale... L'Histoire est semée de moments de rupture aussi tranchants, de hiatus, avec des conséquences importantes, mais pas toujours négatives. Où en serait la Chine sans cette rupture, la France sans la Révolution, etc. ?
Peut-être ceux qui ont survécu n'ont-ils pas totalement sacrifié le passé ? Car ces ruptures de valeurs ont des conséquences sociétales importantes. On le voit bien chez nous aujourd'hui, par exemple, dans la famille qui se délite, minée par une série de mesures souvent équitables prises individuellement, mais dont l'ensemble condamne la cellule familiale en lui retirant son rôle et son pouvoir. La lignée généalogique, l'héritage, l'autorité parentale, l'apprentissage, la transmission des règles de vie, le droit qui en est issu, tout cela est ringardisé et conduit à la solitude du surhomme en charge de la construction de son devenir. Parfait pour ceux qui s'en sortent, capables de comprendre que leur utilité sociale n'est pas seulement l'assouvissement de leurs désirs. Mais quel déchet et quelle porte ouverte aux refuges illusoires des sectes et autres religions ! C'est nous qui fabriquons les radicalisés, car il n'est rien de pire pour eux que ne plus avoir de place dans la société, rien de pire qu'être devenu inutile et de se sentir "mal programmé". Staline avait trouvé la solution radicale et l'avait appliquée : "pas d'hommes, pas de problèmes". Hitler s'était limité aux juifs, aux communistes, aux Tsiganes et autres sous-hommes, mais c'était un tendre...
En regardant autour de soi, on peut constater combien ce virus du futurisme est actif. On ne parle que de développement de soi, comme si soi était l'origine du monde et de toute vérité et comme si tout était possible pour tous à chaque instant. Belle illusion, mais illusion quand même. On ouvre peu de livres et surtout pour se distraire. L'expérience, le jugement , la sagesse qu'ont pourrait y trouver sont ceux d'un autre âge et sont, comme tels, dépréciés. L'Histoire, dit-on, ne se répète pas : alors, à quoi bon essayer de comprendre l'enchaînement de ce qui s'est produit ? Une économie stable est perçue comme une catastrophe et seule la croissance nous rapproche de Dieu. Ou bien, on nous dit doctement que dans cent ans le réchauffement climatique aura cassé la baraque, etc.
Mais, avez-vous entendu un homme politique, en particulier de "gauche", se préoccuper d'autre chose que du futur ? C'est d'ailleurs un peu pour ça qu'on ne les croit plus beaucoup. Et l'école, soumise au vent qui passe, ne cherche plus à transmettre, mais à épanouir, à faire jouir à tout âge. Il faut bien préparer le futur ! Et c'est tellement moins fatigant que de transmettre et vérifier que le message des savoirs et de l'héritage culturel est bien passé, en dépit de ses contraintes. Comme dit PS, nous ne fabriquons plus que des bâtards. Alors, quand les liens de solidarités entre générations ont disparu, il est tentant de tuer son père et quand tous les hommes sont frères, le lien générationnel est détruit.
Il est incontestable que ce livre aborde un point important et qu'il le fait sous des angles variés et sans idéologie préalable. Mais je lui fais deux reproches. D'abord il ne propose rien, même au niveau des idées pour faire évoluer la situation décrite. Equilibrer la prise en compte des traditions et la nécessité de faire oeuvre future utile est une volonté plus politique que philosophique, certes. Mais la lecture de ce livre nous laisse trop sur une faim dont il est responsable. Ensuite et surtout, il est , pour moi, mal écrit. Ligne de pensée parfois en zigzag, mots pédants sans réel contenu, phrases où la logique se perd. Dommage.
Payot (2014) - 504 pages